La fée et le Laird 
Ecosse _  Inverness,

Proposé par Lord Blackwood / Lanarkshire
Traduit par Armanel - conteur


Si un jour vous rencontrez un Laird (châtelain écossais) ne lui dîtes pas que vous refusez de de croire aux fantômes «attachés» à son château ; il se sentirait déshonoré. car ces fantômes ne font seulement partie de la tradition, mais leur présence est aussi une question de « standing ».

Les rares forêts qui subsistent encore doivent, de la même manière, cacher au plus profond de leurs taillis, des esprits éthérés. Si vous expliquez qu'il s'agit d'un lambeau de brouillard accroché aux feuilles, l'Écossais chez lequel vous êtes invité à la chasse au renard, vous regardera d'un air peiné.

La chasse au renard, comme les fantômes, est une institution nationale. Ces chevauchées folles à travers plaines et bois donnent à chacun l'illusion qu'il est redevenu l'un des chevaliers de la Table Ronde traversant la forêt de Northumberland.


Il y avait autrefois, un laird écossais, du nom de Donald MacDonald, qui chassait dans les bois dont il ne reste plus que quelques vestiges, autour du mont Macduhel, entre le massif du Grampiam et l'Inverness, au cœur de l'Écosse.

Donald MacDonald poursuivait depuis un long moment un renard magnifique, mais parfois il se demandait si la bête n'avait pas le don de se multiplier, car à plusieurs reprises, un éclair roux avait jailli sous les sabots des chevaux de buissons différents et cela presque simultanément.

La jument du jeune laird ayant fait un écart, la troupe de ses compagnons, emportée par son élan, le dépassa comme une bourrasque pour s'engouffrer dans le hallier. Donald parvint à maîtriser sa monture et la fit danser sur place jusqu'à ce qu'elle se calme.

Et c’est à ce moment-là qu’il vit la bête rousse, presque au-dessous de lui, étalée au pied d'un arbre et qui tirait une langue pendante. Puis le renard, lui aussi surpris par la présence de Donald MacDonald, leva vers le jeune homme ses yeux étincelants et considéra son poursuivant avec un grand intérêt.


Chasseur et chassé se regardaient l'un et l'autre. Des deux, le renard semblait le moins étonné. Alors, Donald MacDonald, descendit de cheval et fit quelques pas vers le renard. Le renard remua seulement une oreille et semblait sourire au jeune Laird! Mais quand Donald MacDonald,, d'un geste furtif, voulut prendre une flèche dans son carquois, le renard disparut.

A ce moment, dans le dos du jeune homme, une créature transparente bondit, du pied de l'arbre où elle était assise, pour souffler sous le nez du cheval. Celui-ci se cabra et s'enfuit affolé.

Toujours dans son dos, une autre fée (car elles étaient toute un groupe) perchée dans autre arbre lança une noisette qui, en roulant, devint grosses comme un renard, long et poilu. Croyant que c’était sa proie qui était réapparue et qui détalait, Donald courut aussitôt à sa poursuite.

Une troisième fée, haut perchée, jeta une brindille devant le chasseur et celui-ci sentit une fourrure frôler sa jambe.

Et de buisson en taillis, de tremble en ormeau, de charme en chêne, les fées se renvoyaient le garçon en le faisant courir en tous sens jusqu'à ce que, découragé et hors d'haleine, il se laisse tomber contre un tronc.

Les fées ne s'étaient jamais autant amusées !

Et les branches dénudées des arbres secs s'agitèrent avec emportement, tandis que les vieilles sorcières qui les habitaient exprimaient ainsi leur indignation.

- Ah ! Jeunesse ! Jeunesse ! Comment prendre intérêt à un mortel qui ne sait que porter la mort aux créatures de bois ?


Donald, épuisé, s'endormit. Bientôt, autour de lui, des filles diaphanes mais ravissantes virevoltaient au rythme d'une musique inaudible à des oreilles humaines en traçant dans l'air et sur la mousse les figures d'un ballet exquis. De leur pas, naissaient des fleurs délicates, et leurs ailes de cristal irisé accrochaient les rayons de soleil pour les éparpiller en éclaboussures multicolores.

L'une après l'autre, chaque fée venait déposer un baiser léger sur la joue du bel endormi, devant lequel elle passait.

Les vieilles Fées étaient outrées.

- Quelle honte !

La plus âgée en perdit l'équilibre. Dégringolant de l'orme centenaire qui l'abritait, elle courut vers les coquines en agitant la branche à laquelle depuis si longtemps elle se cramponnait et qui l'avait accompagnée dans sa chute. Les autres sorcières, se dégageant d'une avalanche de feuilles mortes, se joignirent à elles et leur troupe furieuse et gesticulante entra dans le cercle enchanté qui se brisa.

Les petites Fées s'éparpillèrent dans le bois, tandis qu'un coup de vent emportait fleurs miraculeuses et feuilles sèches dans le même tourbillon.


Mais une des fées avait fait seulement mine de s'enfuir avec ses sœurs… Lorsque tout redevint calme, elle revint se poser près du dormeur comme un papillon léger.

Ne sachant que danser et rire, elle dansa pour exprimer son amour, bien que Donald MacDonald ne puisse pas la voir. Elle dansa. Et lorsqu'il se réveilla et qu'il tendit le bras vers une libellule, celle-ci s'échappa en valsant encore autour d'un pinceau de lumière que le soleil couchant, doucement, remonta vers les cimes.


Revenu chez lui, Donald était si fatigué, qu’une fois ses bottes enlevées et son carquois déposé, il ne tarda pas à s'endormir de nouveau devant l'énorme cheminée où pétillait un tronc en feu.

Le château MacDonald devait le soir même recevoir des invités pour une grande réception. Dans les sous-sols, serviteurs et servantes s'affairaient et la salle seigneuriale, encore déserte, n'en paraissait que plus silencieuse.

Il y eut un craquement et Donald ouvrit les yeux. Dans l'air flottait un parfum suave de muguets et de violettes. Puis on entendit le tintement d'une clochette en cristal. Donald, rejetant le plaid qui couvrait ses jambes, se leva et chercha autour de lui.

- Qui est là ? Répondez !

On entendit un rire léger. Contre le pilier central, une jeune fille ravissante lui faisait révérence.

- Qui êtes-vous ? Par où êtes-vous entrée ?

La jeune fille mit un doigt sur ses lèvres et à pas lents, si légers, qu'elle semblait flotter au-dessus des dalles, elle s'avança, les mains tendues vers lui. Donald MacDonald pétrifié par la joliesses de l'apparition, sentit soudain un étrange vertige l'anéantir.

- Comme tu es belle…

A ce moment-là, la porte s'ouvrit avec fracas et l'intendant annonça d'une voix joviale, :

- Mylord ! Voici lady Kathryn, votre fiancée, ainsi que Sir Douglas, son père et tous les yeomen (fermiers libres) du domaine…

Au son des cornemuses et des tambours, un joyeux cortège fit son entrée. Les tartans étaient aux couleurs des deux clans : bleu pour le clan MacDonald, rouge pour celui de Sir Douglas. Un gaillard portant un tronc d'arbre bien droit et si haut qu'il touchait la voûte fermait la marche. C'était le caber, que seul ce champion pouvait projeter jusqu'à l'autre bout d'un champ.


Donald MacDonald regardait ses invités d'un air un peu hagard, ce que tout le monde interpréta à la fois comme l'admiration méritée par la fiancée. Les cheveux de Kathryn flamboyaient, tels les carreaux de l'écharpe en tartan couvrant ses charmantes épaules !

A l'arrivée du cortège, la jeune fille mystérieuse s'était figée. Donald, se tournant vers elle pour la présenter, resta immobile car il ne vit par terre qu'une feuille verte. Mais en se baissant pour la ramasser, il sentit contre ses doigts un frôlement imperceptible, le contact léger d'une jupe invisible.

- Vous n'avez rencontré personne, en entrant ? Demanda Donald MacDonald

- Comme notre laird est bizarre ce soir… dirent les serviteurs.

- Comme mon fiancé me parait songeur, murmura Lady Kathryn

Pendant le repas Donald MacDonald fit des efforts, afin de se montrer charmant et heureux, mais c'est à peine s'il toucha aux mets présentés.

Pourtant, jamais haggis n'avait été aussi réussi. A la cuisine, on avait veillé à faire cuire exactement pendant la quart de la journée cette panse de brebis farcie au gruau d'avoine. Quel délice !

Par moments, levant les yeux, il lui semblait voir la silhouette d'une jeune fille assise sur le rebord de la fenêtre et qui, triste elle aussi, le regardait. 
Plusieurs fois, il se leva mais ne trouva rien.

- Ce n'est que la brise agitant le rideau. Se disait-il.


Après le dîner, on dansa. Donald exécutait machinalement les figures, jusqu’à ce que dans sa main se glisse une menotte fraîche. Il lui sembla alors que la musique changeait et qu'un concert d'oiseaux remplaçait l'aigre refrain lancinant du « pipe ».


Devant les yeux de l'assistance sidérée, Donald MacDonald se mit à danser tout seul, tendant son bras dans le vide, improvisant des pas étranges jusqu'à ce que le joueur de cornemuse en laisse tomber son instrument, choqué au point de ne pouvoir plus souffler.

Un des invités, Sir Malcom, amoureux depuis longtemps lui-même de lady Kathryn, profita du désarroi de celle-ci pour lui dire un compliment qui lui tenait à cœur.

A partir de ce moment-là, le bal alla vraiment de travers. Plus d'une fois, Donald se trompait de rythme et ne se préoccupait plus de sa partenaire, et les invités, eux aussi, s'embrouillaient.

A la fin, c'en fut assez pour lady Kathryn


Elle s'enfuit, suivie de Sir Malcom, de son père et de toute la noce. Donald demeuré tout seul au milieu de la salle, n’y comprenait rien. Alors, un éclat de rire lui fit lever la tête. Assise sur le rebord de la cheminée, là-haut, près des poutres, posée comme une libellule de lumière, la jeune fille mystérieuse balançait les pieds.

Le laird, partagé entre la stupeur et l'admiration, allait l'implorer de faire attention à ne pas tomber, lorsque la fenêtre s 'ouvrit à la volée. Le vent, en tourbillon, entra dans la pièce, renversa tables et bancs, et le jeune homme lui-même, pour disparaître comme il était venu, emportant une lumière, que l'on vit tournoyer en direction de la forêt.

Sur la cheminée, la jeune fille avait disparu.

Alors d'un bond, Donald sauta lui aussi par la fenêtre. Courant vers le bois, il criait :

- Attendez ! Attendez !

Le feu follet sembla ralentir sa course, mais à chaque fois que le jeune homme allait l'attraper, il disparaissait pour renaître en mille flaques de lumière, tandis que la lune se levait. De partout, surgissaient des jeunes filles en robe de gaze claire et Donald allait de l'une à l'autre, sans pouvoir ni les saisir, ni les identifier.

Pourtant, il semblait à Donald MacDonald que l'une des fées dansait mieux que les autres. A chaque fois qu'il la frôlait, son cœur battait la chamade. Mais à chaque fois, une autre fée se glissait entre eux et le faisait trébucher sur un buisson d'épines ou bien se transformait en quelque oiseau de nuit aux yeux furibonds.

Et toujours une Sylphide s'interposait et le tirait vers le profond des bois, lorsque soudain, le sol s'ouvrit et un étang apprarut sur lequel bondissait la Fée.

Donald MacDonald courut vers l'étang, qui se referma sur lui, dans une grande éclaboussure.

La fée amoureuse se jeta elle aussi à l'eau, au prix de son immortalité. Elle saisit de ses bras le corps du jeune homme et le tira sur la berge.


Un concert de cornemuses et de tambours monta depuis l'orée de la forêt. Des torches illuminaient les buissons de reflets mouvants. C'était un cortège de noce à la recherche de bois sec pour le grand feu autour duquel on danserait la gigue, tandis que les lanceurs de caber rivaliseraient d'adresse. Tout le monde chantait le bonheur des nouveaux fiancés.

On arriva ainsi à une clairière au milieu de laquelle miroitait un étang, petit mais profond. Sur la rive, deux arbres morts aux branches entrelacées gisaient. Sortant leurs couteaux, les gens de la noce eurent vite fait de débiter les arbres. Bientôt un brasier pétillait, tandis que la ronde se formait.


La fumée monta vers le ciel clouté d'étoiles. Une fumée que le vent dédoubla en panache jumelé, qui se diluait dans le feuillage où traînait déjà un brouillard énigmatique.

Aux fenêtres du château, les serviteurs regardaient ce spectacle

- Comme c'est curieux, dit quelqu'un. On dirait deux danseurs qui tournoient, en se tenant par la main

- Tu es fou ! fait un autre. Ce n'est que de la fumée !