La daurade échappée

Asturies  _ Buelna

Traduit par le conteur Armanel



Il y avait autrefois un homme et sa femme qui vivaient dans une petite maison près de Bojes. Tous les matins , le mari allait pêcher près des Bufones de Santiuste à Buelna et tous les après-midis il montait travailler dans les bois de Boquerizo. Ce jour-là, il avait ramené une belle dorade de 40 cm à la maison, et en la posant sur la table, il avait demandé à sa femme de la lui préparer avec un gaspacho pour le repas du soir.

Mais la femme, qui avait beaucoup de qualités, avait aussi un gros défaut : la gourmandise. Il lui était très difficile, voire impossible, de résister à la tentation quand il y avait un plat sur la table, et elle ne pouvait pas non plus s’empêcher de « goûter » plusieurs fois à un plat pendant qu’elle le préparait.

Pendant l’absence de son mari qui était parti travailler dans la montagne, la femme se chargea de laver, sécher et tailler en petits morceaux, les tomates et le poivron, puis d’ajouter les échalotes hachées, le basilic ciselé, le sel et le piment. Ensuite elle détailla le poisson en cubes qu’elle fit dorer à la poêle dans un filet d’huile d’olive. Après avoir salé et poivré, elle « goûta » sa daurade au gaspacho, mais emportée par sa gourmandise elle dévora le tout.

Vers le soir, l’homme redescendit de la montagne et arriva chez lui où sa gloutonne compagne lui dit :

_ Mon pauvre Pedro, il nous est arrivé un malheur ; quelque chose d’extraordinaire ! Alors que je saisissais la daurade sur la table afin de la préparer, cette effrontée m’a glissé des mains et s’est échappée vers le ruisseau.

_ Mais Fruela, répondit Pedro, tu n’as pas réussi à la rattraper ?

__ Non, elle était trop rapide et bien trop rusée pour moi, répondit Fruela.

Alors, Pedro se saisit d’un bâton et se mit à fouiller dans tous les coins et les recoins de la maison. Puis, il fouilla tous les coins et les recoins du jardinet où il faisait pousser tomates, poivron, échalotes et basilic. Ensuite il fouilla tous les bosquets, taillis et arbustes qui entouraient sa demeure, pour enfin scruter les berges du ruisseau. Ses efforts furent inutiles ; il ne retrouva pas sa belle daurade de 40 cm pêchée le matin même près des Bufones de Santiuste

Le lendemain, Pedro retourna pêcher près des Bufones de Santiuste, mais la mer était démontée et il dut rentrer bredouille. En rentrant chez lui, il traversa Buelna et passa devant l’étal d’une marchande de poissons qui présentait une daurade tout à fait semblable à celle qu’il avait pêché la veille et qui devait être son prétendu repas. Pedro la regarda fixement, si attentivement qu’il se persuada qu’il s’agissait du même poisson et il lui murmura
_« je te tiens, friponne »,
puis il la saisit et l’emporta chez lui en courant.

La marchande de poisson cria sur Pedro afin qu’il lui restitue la daurade, mais comme celui-ci ne voulait rien entendre elle se mit à le poursuivre, lui criant après et l’insultant.

Un gentilhomme qui passait par là arrêta Pedro et lui demanda de s’expliquer. Alors bredouillant et bafouillant Pedro voulut s’expliquer. Mais chaque phrase qu’il prononçait était ponctuée par les cris de la poissonnière, ce qui fit sortir de chez eux tous les habitants de la rue qui se tordaient de rire à voir et entendre un tel spectacle… Pour calmer les esprits, un gentilhomme paya le poisson à la marchande et Pedro put rentrer chez lui avec « Sa daurade ».

Une fois chez lui, Pedro se mit à préparer le repas avec beaucoup de soin, mais cette fois-ci il décida de faire cuire la daurade au court-bouillon. Il plaça le poisson dans une grande marmite pleine d’eau, la posa sur le feu et s’assit en face du foyer, le bâton à la main prêt à assommer la daurade si celle-ci voulait s échapper une nouvelle fois.

Mais Pedro, fatigué par sa course et ses émotions, s’assoupit devant la marmite. Bientôt l’eau se mit à bouillir et Pedro réveillé en sursaut croyait que le poisson cherchait à nouveau à s’enfuir. Il donna de furieux coups de bâton sur la marmite qui se brisa en mille morceaux. L’eau s’échappa et se répandit sur ses pieds qui furent brûlés. Pedro, criant de douleur, sautait dans tous les sens et marcha sur la daurade qu’il piétina. En marchant sur la daurade Pedro glissa, trébucha, tomba la tête la première sur la pierre de la cheminée et perdit connaissance.

Quand il reprit connaissance, il jura de ne plus jamais pêcher de daurade, cause de tout ce malheur.