LA BATAILLE DES OISEAUX
FIFE
Armanel - conteur
Autrefois, il y avait tous les ans une bataille entre les animaux de la terre et les oiseaux de l'air pour savoir qui serait le souverain des animaux d’Écosse.
Cette année-là, Donnchadh, le fils du roi de Kilrymont dit à son père:
_ « J'irai dans les Higlands, j’irai voir le combat, et je ramènerai l'animal qui sera déclaré souverain de tous les autres cette année. »
Kilrymont est à plusieurs journées de cheval du lieu du combat et quand Donnchadh arriva au champ de bataille, le combat était près de finir. Seuls, deux animaux luttaient encore : un corbeau noir et un serpent; la victoire semblait pencher en faveur du serpent. Prenant parti pour le corbeau, le prince Donnchadh tira son épée et trancha la tète du serpent. Le corbeau reprit haleine et lui dit:
_« Tu as été bon pour moi et pour te remercier, je te montrerai une belle vue je vais te montrer quelque chose que tu n’as jamais vu.
Donnchadh monta sur le dos du corbeau et il découvrit d'un coup d'œil sept Bens (collines), sept Glens (vallées) et sept montagnes couvertes de bruyères.
_ « Regarde loin devant, dit le corbeau, cette demeure que tu aperçois est la maison de ma sœur; et tu y seras le bienvenu. Si elle te demande: « Étais-tu à la bataille des oiseaux ? »
tu lui diras: «J'y étais». Et si elle ajoute: «As-tu vu le corbeau?» tu lui diras «Je l'ai vu.» Tu passeras la nuit chez elle et je reviendrais te chercher ici demain matin. »
Comme le corbeau l’avait dit, Donnchadh a reçu un accueil chaleureux chez la sœur du corbeau: On lui a donné des viandes de toutes espèces, des boissons à profusion, de l’eau chaude pour laver ses pieds et un lit pour doux ses membres fatigués.
Le lendemain, le corbeau a montré le même panorama que la veille à Donnchadh. Ils se sont dirigés vers une cabane éloignée, où le prince a reçu un accueil semblable à celui de la veille: abondance de viandes et de boissons, eau chaude pour ses pieds, doux lit pour ses membres.
Et le jour suivant il fut traité de même.
Le troisième matin, Donnchadh s’est présenté au rendez-vous des journées précédentes, mais le corbeau ne l’attendait pas . A sa place se tenait le plus beau jeune homme du monde qui portait un paquet dans sa main. Donnchadh lui a demandé:
_ « N'avez-vous pas rencontré un grand corbeau noir?»
Le jeune homme lui a répondu:
_ « Tu ne verras plus le corbeau, car le corbeau, c'était moi. Tu as détruit un charme qui avait été jeté sur moi en venant à mon secours. Pour ta récompense prends ce paquet.
_ Retourne sans crainte chez ton père; mes sœurs te donneront l'hospitalité chacune pendant une nuit; . Mais attention, n’ouvre ce paquet que lorsque tu seras arrivé à l'endroit où tu aimerais habiter. » ajouta le jeune homme
Puis le jeune homme a disparu et Donnchadh est retourné vers la demeure de son père. Sur son chemin, il logea chez les sœurs du corbeau. En approchant de la demeure de son père, il devait traverser un bois épais. Le paquet devenait très lourd à porter et Donnchadh n’a pas pu s’empêcher de regarder ce qu'il contenait.
Quel ne fut pas son étonnement quand il a ouvert le paquet! En un clin d'œil, est apparu un grand château entouré d'un verger où croissaient toutes sortes de plantes et de fruits au milieu d'un Glen immense. Donnchadh était saisi de surprise et de regret. Car son bonheur eût été complet s'il lavait ouvert le paquet dans la jolie petite vallée verdoyante qui faisait face à la demeure- de son père. Mais comment faire rentrer dans le paquet les belles choses qui y étaient enfermées?
Donnchadh en était là de ses réflexions quand, il a vu un géant qui venait vers lui.
— Tu as bâti ta demeure à la mauvaise est la place, a dit le géant.
— C’ est vrai, mais comment réparer mon erreur ?
— Que me donnerais-tu si je faisais tout rentrer dans le paquet?
— Je ne sais pas. Mais quelle récompense aimerais-tu? A demandé Donnchadh
— Tu me donneras ton premier fils quand il aura sept ans, a répondu le géant.
— Promis ! Si j'ai un fils, je te le donnerai.
Et en n un clin d'œil, le géant a remis jardin, verger et château dans le paquet.
_ « Maintenant, dit le géant, suis ta route. Moi je vas suivre la mienne. Mais souviens-toi de ta promesse, et, si tu l'oublies, je saurai te la rappeler. »
Donnchadh continua son voyage, et quelques jours plus tard il est arrivé à l’endroit qu'il aimait. Il a ouvert le paquet et le même château est apparu. Et quand il a ouvert la porte du château, il a été accueilli par la plus belle fille du monde.
_ « Avance, Donnchadh, a dit la jolie fille, tout est prêt pour notre mariage.
— Tu combles tous mes vœux », a répondu Donnchadh; et les noces furent célébrées cette nuit-même.
Sept ans et un jour se sont écoulés et Donnchadh n'avait jamais révélé à sa femme la promesse qu’il avait faite au géant. Soudain le géant s’est présenté à la porte du château. Donnchadh a été obligé de révéler son serment à sa femme.
La reine lui dit:
— Laisse-moi faire, je vais tout arranger.
— Rappelle-toi ta promesse ! Livre-moi ton fils ! Criait le géant;.
— Patiente un peu, a répondu Donnchadh; mon fils va venir; sa mère est allée le chercher.
Mais pendant ce temps-là, la reine avait mis les habits de son propre enfant au fils du cuisinier. Et c’est ce garçon qu’elle a présenté au géant. Le géant est parti, mais à quelque distance du château, il a mis une baguette de saule dans la main du petit garçon et lui a demandé:
_ « Si ton père tenait cette baguette, qu'en ferait-il? »
L'enfant a répondu:
_ « Si mon père tenait cette baguette, il battrait les chiens et les chats qui s'approcheraient
du dîner du roi. »
_ Alors, tu es le fils du cuisinier, a dit le géant;» et le saisissant par ses deux petits pieds, il l’a lancé si fort dans les airs qu’il a franchi les murailles et est retombé dans la cour du château.
Le géant est revenu au château, plein de rage et de fureur, et a crié que si on ne lui remettait pas le fils du roi, il démolirai le château et que la plus haute pierre du château en deviendrait la plus basse.
La reine a dit à Donnchadh:
_ « Essayons encore une fois de tromper le géant; le fils du sommelier est du même âge que notre fils. »
Elle a donc habillé le fils du sommelier et l’a conduit au géant. Le géant est parti, mais à quelque distance du château, il a mis une baguette de saule dans la main du petit garçon et lui a demandé:
_ « Si ton père tenait cette baguette, qu'en ferait-il? »
— Il éloignerait les chiens et les chats qui voudraient s'approcher des bouteilles et des verres du roi.
Alors, tu es le fils du cuisinier, a dit le géant;» et le saisissant par ses deux petits pieds, il l’a lancé si fort dans les airs qu’il est retombé au milieu de la cour du château.
Le géant est revenu sur ses pas, plein de fureur et de colère. La terre tremblait sous ses pas, ainsi que le château et tout ce qui s'y trouvait.
_ « Livre-moi ton fils, ou dans un instant la plus haute pierre de ta demeure en sera la plus basse.»
C'est ainsi que Domnall , le fils de Donnchadh, a été livré au géant.
Le géant a emmené Domnall chez lui et l'a élevé comme son fils. Un jour que le géant était sorti, Domnall entendit de doux chants qui semblaient provenir du grenier du palais. Il a levé les yeux et a aperçu la plus jolie personne qu'il eût jamais vue. Elle lui a fait signe de s'approcher, et elle lui a dit:
_ « Je m’appelle Eilidh ( Se prononce Aye-lie) et je suis la plus jeune fille du géant Aujourd'hui, vous ne pouvez pas rester plus longtemps près de moi; mais, revenez demain à l'heure de midi. »
Domnall n'eut garde d'oublier son rendez-vous et Eilidh lui a dit:
_ « Demain, dites à mon père que vous seriez heureux de prendre une de ses filles pour épouse et que votre choix s'est fixé sur moi. Car mon père veut me marier au fils du roi de la Cité Verte, mais je ne l’aime pas.»
Le lendemain, le géant amena ses trois filles devant Domnall et dit:
_ « Fils du roi de Kilrymont ², tu n'auras pas à regretter les années passées chez moi. Je te donne pour femme celle que tu voudras de mes deux filles aînées; et quand tes noces seront célébrées, tu pourras retourner chez ton père.
— « Je te prends au mot, dit Domnall , mais c'est la plus jeune que je choisis.»
Le géant fut saisi de colère et répondit:
_ « Je ne t'accorderai sa main que si tu accomplis les trois épreuves que je t'imposerai.
— « Montrez-moi tout de suite la première» a dit Domnall.
Le géant a amené Domnall dans l'étable.
_ « La bouse de cent vaches s'est amoncelée ici depuis sept ans et n’a jamais été ramassée. Je pars ce matin et tu as la journée pour tout nettoyer. Si cette étable n'est pas. propre au point qu'une pomme d'or puisse y rouler d'un bout à l'autre sans être salie, non-seulement tu n'auras pas ma fille, mais je me désaltérerai avec ton sang cette nuit même! »
Domnall a commencé à nettoyer l'étable; mais autant vouloir vider l'Océan avec une petite cuiller! Dans l'après-midi, la sueur tombait de son front dans ses yeux, quand Eilidh, la plus jeune fille du géant, est venue le trouver et lui a dit:
_ « Tu souffres bien, fils de roi!
— Oh! oui, a répondu Domnall.
— Eh bien, dit-elle, oublie ta fatigue et abandonne ta tâche.
— Volontiers, car je me suis résigné à mourir cette nuit. »
Domnall s’est assis près de Eilidh, et sa fatigue était si grande qu'il s’est endormi. A son réveil, Eilidh n'était plus près de lui; mais l'étable était si propre qu'une pomme d'or eût pu y rouler d'un bout à l'autre sans être salie.
Le géant est arrivé en criant:
_« As-tu nettoyé l'étable?
— Oui, a répondu Domnall.
— Impossible ! Quelqu'un l'a nettoyée pour toi,» a dit le géant.
_ « En tous cas, ce n'est pas toi.
— Eh bien, dit le géant, puisque tu as été si habile aujourd'hui, je veux que demain tu recouvres l'étable avec des plumes prises sue le dos d'oiseaux n'ayant pas plus de deux plumes de même couleur. »
Avant le jour le prince Domnall était sur pied. Armé de son arc et son carquois, il s’est dirigé vers les marais; mais les oiseaux n'étaient pas aisés à attraper. Il les a poursuivi jusqu'à ce que la sueur l'aveugle. Vers midi, Eilidh, la fille du géant est venue le rejoindre.
_ « Tu es mort de fatigue, prince, dit-elle.
— Hélas! je n'ai encore tué que deux oiseaux noirs et tous deux d'une seule couleur.
— Va t'étendre sur ce petit coteau, et laisse-moi faire.
— Volontiers, a dit Domnall, en espérant qu'elle l'aiderait encore » ; et il tomba endormi.
A son réveil, Eilidh était partie. Domnall est retourné à la maison et a vu l'étable couverte de plumes. Quand le géant revint, il s'est écrié:
_ « As-tu couvert l'étable?
— Oui, a répondu Domnall.
— Impossible ! Quelqu'un l'a fait pour toi,» a dit le géant.
_ « En tous cas, ce n'est pas toi.
— C'est bon, mais il te reste encore une épreuve. Regarde le sapin près du lac; au sommet de ce sapin, il y a un nid qui contient cinq œufs de pie. Je les veux pour mon premier repas; fais bien attention à ce qu'aucun deux ne soit fêlé ni brisé. »
Domnall s’est levé de bonne heure et s’est dirigé vers le sapin, mais l'ascension n'était pas facile. L'arbre n'avait pas son pareil dans tout le bois. Du sol à la première branche, on comptait cinq cents pieds (150 mètres) et Domnall n’arrivait pas à s'élever. Soudain Eilidh est venue lui porter secours.
_ « Tu va user toute la peau de tes mains et de tes pieds, dit-elle.
— Je ne crois pas ; aussitôt monté je redescends et c’est tout. »
Alors Eilidh enfonça ses doigts, les uns après les autres, dans le sapin et ainsi elle a fait une échelle qui a permis à Domnall d'atteindre le nid de la pie. Il touchait enfin le sommet de l'arbre quand Eilidh lui cria:
_ « Hâte-toi de redescendre avec tes œufs, car je sens l’haleine de mon père qui me chauffe le dos.»
Domnall est redescendu aussi rapidement que possible et Eilidh a retiré ses doigts du tronc de l’arbre, mais dans sa précipitation, elle a laissé son petit doigt planté dans le sapin.
_ « Maintenant, dit-elle, retourne vite à la maison avec les œufs, et demande à m'épouser cette nuit. Mes sœurs et moi nous serons vêtues toutes pareilles et notre ressemblance sera complète. Mais quand mon père te dira:_ « Fils de roi, désigne ta femme!» tu reconnaîtras ma main qui est privée de son petit doigt.»
Le prince Domnall donna donc les œufs au géant:
_ « Reconnais ta fiancée parmi mes filles et emmène-la.»
La fiancée du prince leva la main, à laquelle manquait le petit doigt et le prince l'attira à lui.
_« C'est bon, dit le géant, va tout préparer pour ton mariage. »
Le géant a préparé la noce; mais une noce comme on n’en a jamais vu ailleurs! Les géants, les seigneurs et le fils du roi de la Cité Verte avaient été conviés à la fête.
Le prince Domnall et Eilidh ont été mariés et la noce a commencé par une danse, et quelle danse! La maison du géant en tremblait de la cave au grenier. Quand l'heure de se retirer fut arrivée, le géant dit au prince:
_ « Il est temps de prendre du repos. Va te coucher avec ta femme.»
_ « Cher ami, dit la fiancée, ne t'endors pas, ou tu es mort. Fuyons vite, vite, car sinon
mon père te tuera. »
Ils se sont dirigés vers l'écurie et ont détaché une pouliche gris bleu.
_ « Attends un peu, a dit Eilidh, je veux jouer un tour à mon père avant de partir .»
En disant ces mots, elle a coupé une pomme en neuf morceaux, puis elle en a mis deux à la tête du lit, deux au pied du lit, deux à la porte de la cuisine, deux à la grande porte et le dernier morceau en dehors de la maison. Et ils se sont enfuis sur le dos de la pouliche gris bleu.
Le bruit du galop de la pouliche a réveillé le géant s'éveilla qui a crié:
_ « Dormez-vous? »
— « Pas encore, » ont dit les quartiers de pomme qui étaient à la tête du lit.»
Au bout d'un instant le géant appela de nouveau:
_ « Dormez-vous? »
_ «Pas encore! » ont dit les quartiers de pomme qui étaient au pied du lit.
Le géant appela une troisième fois.
_ «Pas encore! » ont dit les quartiers de pomme qui étaient à la porte de la cuisine.
Le géant appela encore. Les quartiers de pomme qui étaient à la grande porte ont répondu à leur tour. Le géant s'écria:
_ «Vous êtes loin d'ici, je comprends tout!
— « Pas encore! » a dit le quartier de pomme qui était à l’extérieur.
_ « Vous fuyez!» s'est écrié le géant; et, s'élançant vers le lit des deux époux, il le trouva froid et vide.
_« C'est une ruse de ma fille, » a dit le géant, et il s’est lancé à la poursuite des fuyards.
A la pointe du jour, Eilidh, la jeune fille du géant s'écria que la respiration de son père lui brûlait le dos.
_ « Mets vite ta main dans l'oreille gauche de la pouliche grise, et jette derrière toi ce que tu trouveras ».dit-elle au prince.
— C'est une pointe d'épine, a répondu Domnall.
— Jette-la derrière toi»
Aussitôt un bois d'épines noires long de quarante kilomètres et si épais qu'une belette n’aurait pas pu s'y glisser, a poussé derrière les fuyards. Le géant est arrivé tête baissée et a déchiré sa tête et son cou avec les épines.
_ « C'est encore un tour de ma fille. Mais si j'avais ma hache et mon couteau, je ne serais pas long à me frayer un chemin.»
Le géant est retourné chercher sa hache et son couteau, et est revenu aussitôt. Puis il joua de la hache. Bientôt un chemin s'est ouvert à travers les épines noires.
_ « Laissons là ma hache et mon couteau jusqu'au retour. A dit le géant
— Si tu les laisses, nous te les volerons, a dit un corbeau perché sur un arbre.
— Dans ce cas je les remporte à la maison. »
Et le géant est revenu sur ses pas et laissa ses outils chez lui.
A midi, Eilidh, la jeune fille du géant a senti le souffle de son père qui lui brûlait le dos.
_ _ « Mets vite ta main dans l'oreille gauche de la pouliche grise, et jette derrière toi ce que tu trouveras ».dit-elle au prince.
Le prince Domnall y trouva un éclat de pierre grise qu’il a jeté derrière eux, et, en un clin d'œil, un grand rocher de cinquante kilomètres de haut et de large s’est dressé derrière eux. Le géant est arriva, mais le rocher l'a arrêté.
_ « Les ruses de ma fille sont les choses les plus difficiles à déjouer que j'aie jamais connues. Mais si j'avais mon levier et ma puissante pioche, je ne serais pas long à me faire un chemin. »
Le géant est retourné chercher ses outils et il a ouvert une route en fendant le rocher.
_ « Je vais laisser là mes instruments, et je ne retournerai pas chez moi comme avant.
— Si tu les laisses là, nous les volerons. A dit le corbeau,
— Fais comme tu voudras, je n'ai pas le temps de rentrer chez moi.»
Au soleil couchant la jeune fille du géant a senti le souffle le souffle de son père lui brûler le dos.
_ « Prince ! Mets vite ta main dans l'oreille gauche de la pouliche grise, sinon nous sommes perdus. »
Le prince Domnall trouva une goutte d'eau dans l'oreille gauche du coursier. Et quand il l'a jetée derrière lui, un grand lac d'eau froide de quarante kilomètres de long et de large s'étendit derrière eux.
Le géant arriva, mais lancé comme il l'était, il est tombé au milieu du lac, s'est enfoncé et ne reparut jamais plus.
Le lendemain matin, le prince Domnall et Eilidh se trouvaient en vue de la maison du roi de Kilrymont :
_ « Maintenant que mon père est noyé, il ne nous gênera plus. Mais arrêtons-nous ici. Tu vas partir seul, en avant, pour annoncer à ton père que tu m'aimes; mais fais bien attention à ce personne que ni être humain ni créature animale ne t'embrasse, sinon tu oublieras que j’existe.»
Tous ceux qui rencontraient le prince Domnall lui souhaitaient bienvenue et bonheur, et il pria son père et sa mère de ne pas l'embrasser; mais par malheur pour lui une vieille levrette le reconnut et lui sauta à la figure en le léchant. De ce moment, le prince oublia l’existence de sa fiancée.
Eilidh restait, assise au bord d'un puits, en attendant Gordon qui ne revenait pas. A la tombée de la nuit, elle grimpa dans un chêne qui s'élevait près du puits et s’est endormie sur la fourche de l'arbre jusqu'au lendemain.
Près du puits, vivait un cordonnier. Vers midi, le cordonnier qui avait soif demanda à sa femme d'aller lui tirer de l'eau au puits. Quand la femme du cordonnier est arrivée au puits elle pencha la tête pour se regarder dans l’eau. Mais elle a aperçu l'image de Eilidh qui était dans l'arbre, et a cru que c'était son visage qui se reflétait dans l'eau. Jamais jusqu'à ce jour elle ne s'était vue si belle. Alors, elle a jeté loin d'elle le seau qu'elle tenait à la main, qui se brisa. Et elle revint chez son mari sans seau et sans eau.
_ « Où est l'eau que je t'ai demandée? » a demandé le cordonnier.
_ « Tu n’es qu’un vieux lourdaud, dégoûtant et disgracieux e til y a bien trop longtemps que je t'apporte ton eau et ton bois à toi qui ne mérite pas d’avoir une femme si belle.
— Ma femme, je crois que tu deviens folle! Toi, ma fille, va vite chercher à boire à ton père. »
La fille partit, et il lui arriva la même aventure: Jamais elle ne s'était vue si belle, et elle revint chez son père les mains vides. Le pauvre cordonnier pensa que leurs cerveaux se détraquaient, et il alla lui-même au puits. Quand il a vu l'ombre de Eilidh qui se réfléchissait dans l'eau; il a levé les yeux, et a aperçu dans l'arbre la plus belle femme qu'il avait jamais vue.
Le cordonnier comprit que c'était l'ombre de cette femme qui avait rendu folles sa femme et sa fille ; il l'emmena chez lui en s’excusant de sa pauvre demeure, mais de considérer comme à elle tout ce qui s'y trouvait.
Un jour ou deux après cette aventure, un groupe de jeunes gens est venu chez le cordonnier commander des souliers pour la noce du prince qui était revenu et qui allait se marier. Les jeunes gens aperçurent la fille du géant et admirèrent sa beauté.
_ « Tu as une jolie fille, dirent-ils au cordonnier.
— Elle est jolie, certes, mais ce n'est pas ma fille.
— Par Saint Riaghail, dit l'un d'eux, je donnerais cent livres pour l'épouser. »
Les deux autres tinrent le même propos. Le pauvre cordonnier répéta que cela ne le regardait pas, car Eilidh n’était pas sa fille.
_ « Peu importe! dirent-ils, porte-lui notre proposition aujourd'hui, et donne-nous sa réponse demain.»
Quand les jeunes gens furent partis Eilidh demanda au cordonnier:
_ « Que disaient-ils donc de moi? »
Le cordonnier lui répéta leurs paroles.
_ « Va leur dire que j'épouserai celui d'entre eux qui acceptera de partager mon lit. Mais qu'il apporte sa bourse avec lui.»
Le cordonnier courut après les jeunes gens et s'acquitta de son message. Le jeune homme revint sur ses pas et il donna au cordonnier cent livres en cadeau de noces. Le jeune homme et Eilidh se retirèrent dans leur chambre; mais dès qu'elle fut couchée, elle dit au jeune homme:
_ « Donnez-moi donc à boire dans ce grand verre qui est là sur la commode à l’autre bout de la chambre.»
Le jeune homme a obéi, mais dès qu'il a touché le verre, il est resta fixé au sol, les doigts collés au grand verre toute la nuit.
_ « Eh! mon garçon, pourquoi ne viens-tu pas te coucher? »a demandé Eilidh.
Mais celui-ci n’a pas pu faire un seul mouvement jusqu'au petit matin
Lorsque le matin le cordonnier est venu frapper à la porte de la chambre, elle lui dit:
_ « Faites sortir ce lourdaud de ma chambre. »
L'amoureux est retourné chez lui, mais se garda bien de raconter aux autres son aventure.
Le second jeune homme est venu à son tour; et quand elle fut couchée, Eilidh lui dit:
_ «Va regarder si la porte est bien fermée à clef.»
La clef est restée collée à la main de l'amoureux, et, malgré ses efforts, il n’a pas pu bouger de toute la nuit. Il ne s'en détacha que lorsque le jour s’est levé, et il s'en retourna honteux et confus, se gardant bien de rien dire à son ami de sa mésaventure.
Le troisième jeune homme est venu à son tour. Mais un de ses pieds resta fixé au plancher et il lui a été impossible de faire un pas durant la nuit.
_ « Maintenant, dit la jeune femme au cordonnier, garde cet or, je n'en ai que faire; il te sera utile, je te l’offre pour te remercier de ta bonté pour moi. »
Le cordonnier avait terminé les souliers qui lui avaient été commandés, et comme le mariage du prince devait se célébrer le jour même, il se disposait à porter au château les souliers des jeunes époux quand Eilidh lui dit:
— J'aimerais bien voir le fils du roi avant qu'il se marie.
— Viens avec moi, je connais les domestiques, et tu pourras regarder à loisir le fils du roi et toute la société.
Et quand les fiancés ont vu cette jolie femme, ils lui ont dit d’aller à la table du banquet et lui ont offert un verre de nectar. Au moment où Eilidh allait le boire, une flamme s'est échappée du verre, et on a vu s'envoler un pigeon d'or et un pigeon d'argent.
Les deux pigeons volaient de ci et de là, quand trois grains d'orge sont tombés sur le plancher. Le pigeon d'argent s'est élancé et les a avalé. Alors, le pigeon d'or lui a dit:
_ « Si tu te souvenais que j'ai nettoyé, pour toi, l'étable, tu partagerais avec moi.»
Trois grains d'orge sont encore tombés sur le plancher, et le pigeon d'argent s'est élancé et les a avalé.
_ « Si tu te souvenais que j'ai recouvert l'étable à ta place, tu ne les mangerais pas sans m'en donner ma part. »
Trois grains d'orge sont encore tombés et le pigeon d'argent les mangea aussi.
_ « Si tu te souvenais que je t'ai donné le nid de la pie, tu ne les aurais pas mangés sans m'en donner ma part. J'ai perdu mon petit doigt à cette occasion et il me manque encore. »
Alors Gordon, Le fils du roi de Kilrymont a retrouvé la mémoire et a reconnu sa femme. Il s'est élancé et l’a embrassée.
Et quand le prêtre est arrivé, ils ont été mariés une seconde fois.
Et c'est ici que mon histoire s’arrête.