La bague qui chante
Galice
Traduit par le conteur Armanel
Il était une fois, une jeune fille très jolie et très pauvre qui allait souvent dans la montagne pour ramasser du bois. Un jour, très absorbée par sa besogne, elle ne vit pas la nuit tomber. De plus c’était une nuit sans lune et la jeune fille se perdit et fut submergée par la peur.
_ Mon Dieu, se dit-elle, que vais-je devenir…
La nuit était humide et obscure, le chemin qu’elle empruntait était difficile et semblait sans fi. Au milieu des arbres gigantesques, la jeune fille semblait minuscule et était terrorisée… Tout à coup un terrible orage éclata. Trempée et frigorifiée, la jeune fille marcha , marcha, marcha et arriva dans une petite clairière. Au milieu de la clairière il y avait une lumière. La jeune fille se dirigea vers la lumière et se retrouva devant une maison. Un géant se reposait devant la porte de la maison.
La jeune fille ne pouvait pas reculer, alors elle s’approcha du géant et lui dit timidement :
_ Je me suis perdue, je suis fatiguée et je ne sais où passer la nuit. Me feriez-vous la faveur de m’accueillir ?
Et le géant la regarda longuement, émit un gros soupir et répondit :
_ Ah ! mais oui, fillette, bien sûr que oui ! Mais entre donc, suis-moi !
Le géant se leva, se dirigea vers la porte et lui dit :
_Porte. Ouvre-toi.
Le géant et la jeune fille entrèrent dans la maison et le géant ordonna encore à la porte :
_Porte. Ferme-toi.
La porte se ferma.
Le géant et la jeune fille se trouvèrent dans la cuisine. Un très grand feu brûlait dans la cheminée et une énorme marmite reposait sur un trépied tout aussi gigantesque. Le géant prit place près du foyer et la lumière du feu l’éclaira.
Alors la jeune fille put observer nettement le géant: il était noir et velu comme un bouc, avait de grandes dents comme un sanglier et n’avait qu’un seul œil au milieu du front.
La peur de la jeune fille allait croissant, mais elle s’efforça de la dissimuler. Après l’avoir regardée avec un plaisir évident, le géant lui ordonna :
_Puisque tu es là, prépare-moi le repas dans cette marmite. Tu trouveras là un mouton…
Dorénavant, tu vivras avec moi, et si un jour tu essayes de t’échapper, je te mangerais au lieu de manger de la viande de mouton, car tu me sembles bien plus tendre.
La la jeune fille, terrifiée, lui obéit et s’activa aussitôt à la cuisine. Le géant lui sourit pour l’encourager, et quand il vit qu’elle se résignait à son sort il alla dans sa chambre pour s’allonger sur son lit.
_Quand tu auras fini, lui dit-il, tu m’apporteras le repas au lit.
Le géant se coucha, s’endormit et se mit à ronfler avec fracas.
Quand le repas fut prêt, la jeune fille en mangea sa part. Puis elle décida de mettre sur le feu un fer pointu qu’elle avait trouvé près de la porte, en fouillant toute la maison. Elle vit aussi de nombreuses peaux de mouton accrochées contre les murs et une porte dans la cuisine qui donnait sur un enclos. L’enclos était immense et un millier de brebis élevées par le géant étaient enfermées là à brouter.
La jeune fille retourna près du feu, y prit le fer incandescent et se rendit dans la chambre du géant sur la pointe des pieds. Le géant dormait comme une marmotte et ses ronflements faisaient trembler toute la pièce. La jeune fille brandit le fer brûlant et l’ enfonça dans l’œil du géant.
Le cri poussé par le géant dut s’entendre à mille lieues à la ronde. Il se martelait le front, la bouche et le nez avec ses poings ; il trépignait d’un bout à l’autre de la pièce. Il se répandait en cris et en glapissements, essayant de se venger de la jeune fille. Il lui sembla que la meilleure façon de l’empêcher de partir était de se placer devant la porte.
Voyant cela, la jeune fille saisit sur le mur une peau de mouton dont elle se recouvrit et se dirigea vers l’enclos. Elle atteignit la porte extérieure et l’ouvrit au moment où le géant s’y plantait, une jambe de chaque côté, afin de faire barrage. Affolées, les brebis commencèrent à s’élancer entre les jambes de leur maître qui bafouillait :
_Je te trouverai jeune fille… Je te trouverai…
Et il touchait toutes les brebis qui passaient entre ses jambes afin de les compter et disait :
_Une blanche… une noire… une blanche… une noire…
La jeune fille, cachée sous sa peau, se mit à quatre pattes et se glissa parmi les brebis. Le géant aveugle la confondit avec les autres bêtes.
_Une blanche… une noire… une blanche… une noire…
Il la palpa mais la laissa s’échapper, la peau lui restant entre les mains. La jeune fille s’écria:
_Une blanche… une noire… et moi je suis dehors !
Le géant se mit dans une colère terrible. Il s’étranglait de rage, puis brusquement il changea de comportement et sourit à la jeune fille. Puis il enleva une bague de son doigt et le jeta à ses pieds, en disant avec douceur :
_Jeune fille, tu es très intelligente et très maligne, aussi je te pardonne. Pour preuve de mon pardon, je t’offre ma bague préférée.
La bague brillait dans l’herbe comme un ver luisant. La jeune fille, craignant un piège, le regardait sans oser le ramasser. Mais le géant semblait si calme et la bague brillait tellement que finalement la jeune fille se baissa, la prit dans sa main et se la passa au doigt. Aussitôt, la bague se mit à chanter :
_Par-ici !… je suis par-ici !…
Le géant se dressa comme une furie et se précipita vers la jeune fille en proférant d’épouvantables malédictions.
La bague le guidait :
_Par-ici !… je suis par-ici !…
Et la jeune fille essayait en vain de la retirer tandis qu’elle s’enfuyait.
Au moment où le géant allait la rejoindre, la jeune fille arriva près d’une rivière gonflée par les pluies d’orage de la nuit précédente. Elle se saisit du couteau qui lui servait à tailler les branches dans la montagne, et d’un coup sec se trancha le doigt orné de la bague. Puis elle le ramassa et le jeta dans la rivière. Plongée dans l’eau, la bague continuait sa chanson :
_Par-ici !… Je suis par-ici !…
Le géant, aveugle, se laissant guider par la voix, entra dans la rivière. L’eau bouillonnante l’emporta dans un tourbillon et il disparut en un instant.
La jeune fille retourna à la maison du géant, réunit tout le troupeau de moutons et le mena jusqu’à sa propre chaumière.