Ker – YS


Armanel - conteur


La légende de la ville d’Ys est l’illustration bretonne du mythe des cités englouties.

Ys est une « Ville basse » légendaire située quelque part en face de la baie de Douarnenez près de la pointe du Raz. Construite sous le niveau de la mer elle était protégée des assauts de celle-ci par une muraille.

Albert le Grand a, rapporté (le premier ?) cette légende dans sa « Vie de St Guennolé en 1637, (pages 59 et suivantes) de son ouvrage « Vie des saints de la Bretagne Armorique » .

Elle a ensuite été recueillie par Émile Souvestre dans son ouvrage « Le Foyer breton » en 1844.

Puis elle a été présentée sous forme de chanson dans le Barzaz-Breiz de La Villemarqué en 1845.

Depuis de nombreuses versions romancées ont suivi.

Cette légende a la particularité d’être « vivante », c’est à dire réinterprétée ou adaptée par celles et ceux qui veulent la vulgariser.

Dans la version la plus populaire de la légende, Ys était une ville opulente et fière et Sant Gwenole a prophétisé que la ville serait détruite à cause des péchés de ses habitants.

Je ne vais pas vous conter cette légende, mainte fois ré-écrite mais vous donnez des clés de compréhension de ce texte.

Bien que la version que je préfère soit : « Les derniers jours d’Ys la Maudite » roman de Georges G Toudouze (1947) je vais vous faire le résumé de l’adaptation du celticiste Peter Berrisford Ellis (1995) ( qui y apporte sa touche personnelle) « The destruction of Ker-Ys ».



La légende compte quatre personnages principaux :

_Gradlon Meur ou Gradlon le Grand, un roi bon et pieux qui a construit la cité de Kêr-Is par amour pour sa fille, Dahut. ( Gradlon = prononcer Grallon)

_Dahut (ou Ahès), la fille de Gradlon et de la sorcière ou druidesse Malgven. C’est une jeune femme têtue, souvent considérée comme étant elle-même une druidesse.

_Sant-Gwenole, qui selon Albert le Grand est celui qui a introduit le christianisme dans l'Armorique païenne, en bâtissant le premier monastère à Landevenneg dans le royaume breton de Kernev (Cornouaille en français). (Gwenole = prononcer Goénolé)

_Le séducteur diabolique, réinterprété par le celticiste Peter Berresford Ellis (1999) comme Maponos, le dieu breton et gaulois de l'amour (analogue de l'Apollon gréco-romain).




Kernev (La Cornouaille bretonne) était gouvernée par un grand roi appelé Gradlon Meur (Gradlon le Grand). Le siège de son gouvernement était une grande ville appelée Kêr-Is située près de la Pointe du Raz dans le Boe an Anaon, (la Baie des Trépassés). Les marchands qui s’étaient rendus jusqu’à la muraille massive de Kêr-Is en parlaient avec envie et crainte.


Gwenole voulait voir la cité et apporter la parole du Dieu Vivant à Gradlon. Un jour il fit venir dans sa cellule, au monastère de Landevenneg, son disciple Gwion, qui avait longé la côte de Kernev.

_ « Parlez-moi de ce Gradlon et de Kêr-Ys, car demain j’ai l’intention de m’y rendre».

_ « Ils sont fidèles aux anciens dieux », a répondu Gwion.

_ « C’est le cas de beaucoup d’entre nous , jusqu’à ce que nous entendions la parole de vérité », répondit Gwenole.

_ « Gradlon est certainement un roi juste », dit Gwion. « Mais c’est aussi un roi triste, et en voici la raison : Il y a de nombreuses années, le roi Gwezenneg du Bro Erec’h (Pays de Vannes) a essayé d’envahir Kernev avec son armée. Ce jour-là Dieub (la femme de Gradlon) rendait visite à sa famille à Belon avec son fils Youlek le Déterminé. Gwezenneg et ses guerriers ont tout massacré sur leur passage, y compris la femme et le fils de Gradlon et toute la famille de Dieu. »


Gwenole fut troublé de savoir que Gwezenneg qui était un roi chrétien avait commis un tel massacre.

_ « Gradlon s’est-il vengé ? » demanda-t-il.

Gwion secoua la tête.

_ « Non ; il a envoyé des ambassadeurs à Gwezenneg, pour demander réparation. Mais il a essuyé un refus. Chaque année à Imbolc ( fête religieuse celtique irlandaise, qui est célébrée le 1er février de notre calendrier, soit au début du mois d’Anagantios selon le calendrier celtique), il a envoyé ses ambassadeurs et ils sont toujours revenus les mains vides de Vannes. Sa fille, la belle Dahut, qui est druidesse et adepte de la foi païenne, a exigé que son père prenne son armée et réclame son dû. Mais Gradlon, roi sage et digne, a refusé d’agir aussi brutalement que Gwezenneg. »


Gwenole pensa que Gradlon serait facile convertir à la vraie foi. Mais Dahut et de ses manières païennes l’inquiétaient.

Le lendemain matin, il s’est dirigé vers Kêr-Is. Plus il avançait vers l'ouest, plus le pays devenait hostile, avec des landes nues et sans arbres, et de petits murs de pierre çà et là pour protéger les maigres récoltes. La grande muraille avait deux portes massives que personne ne pouvait les ouvrir, sous peine d’inonder la ville. Les portes étaient fermées par un cadenas massif, et il n'y avait qu'une clé en or, que Gradlon portait sur une chaîne autour du cou.


Gwenole s’est arrêté devant les portes et a demandé à parler à Gradlon.

_ « Il y a beaucoup de vrai dans ce que tu dis, concéda Gradlon, j’aimerais en savoir plus. »

_ Gradlon a été intéressé par les paroles de Gwenole et a demandé à en savoir plus

_ « Père, si j’étais vous, je ne le ferais pas ! » résonna une voix.

Une femme d’une beauté époustouflante entra dans la salle, que Gwenole devina être la druidesse Dahut. Puis il regarda de plus près.

_ « N’êtes-vous pas connue sous le nom d’Aveldro (Tourbillon) ? » demanda-t-il.

_« Qu’en penses-tu ? » répliqua Dahut en souriant avec condescendance.

_« Oui, par le Dieu vivant, vous êtes Aveldro, celle qui a causé la mort de Gwezenneg ! »

_ « J’avais le droit de me venger. Ce Gwezenneg n’a-t-il pas pris la vie de ma mère et de mon frère, ainsi que celle de toute la famille de ma mère ? »

_ « Mais vous lui avez pris la vie par sorcellerie, en usant de vos charmes » dit Gwenole en se signant.

_ « Il a pris la vie de mes proches donc je lui ai pris la sienne, ce n’était que justice» a dit Dahut.


Gradlon a baissé la tête de honte.

_« Ce que tu as fait n’est pas justice, ma fille. La vengeance n’est pas réparation. »

_« La vengeance apaise l’âme », a répondu Dahut. « Mon âme est en paix désormais. »

_ « Nous sommes tous nés liés à la grande roue de la vie, Dahut », a menacé Gwenole. « Tous nos actes ont leurs conséquences.

_« Tout comme Gwezenneg a payé pour son acte, tu devras payer pour le tien. »

Puis Gwenole s’est tourné vers Gradlon.

_« Roi bon et sage, je sens que tu désires tendre la main à la vérité du Dieu Vivant. Quand tu seras prêt viens me retrouver dans la cité de Kemper.(Quimper) »

Et il quitta la cour.


Ce soir-là, Dahut était dans sa chambre à coucher quand soudain elle a vu entrer un jeune homme qui était si beau qu’elle s’est mise à trembler de désir pour lui.

_ « Tu n’es pas un mortel, murmura-t-elle.

_ « Je suis Maponos, Dieu de l’Amour. Et j’ai entendu dire que tu étais la plus belle de toutes les femmes de la Terre. Je vois que c’est vrai, et je te désire. Viens avec moi et demeure dans mon palais d’amour, loin à l’ouest. »

_ Dahut a perdu toute rationalité. Comme Gwezenneg était tombé sous son charme, elle aussi est tombée sous le charme de cet homme.

_ « Je le ferai, répondit-elle sans hésitation.

Puis Maponos a ajouté.

_« Je t’ai avoué mon amour. Mais avant d’aller dans mon palais éternel, tu dois, toi aussi, me prouver ton amour. L’entrée de mon palais est un secret, et si tu veux partager, ce secret j’ai besoin d’un gage de ton amour. »

_ « Je ferais n’importe quoi », répondit-elle.

_ « Prends la clé de la porte d’or du cou de ton père et ouvre les portes. »

_ « Mais toute la ville sera noyée », protesta Dahut.

_ « Pas du tout. Crois en moi ; je ne la laisserai pas se noyer. Ne suis-je pas un Dieu et ne je peux arrêter un déluge ? Si tu désires vivre avec moi pour l’éternité, tu dois faire cela pour prouver ton amour. »


Dahut est entrée dans la chambre où dormait son père, et a prit la clé qu’il portait autour du cou. Puis elle s’est précipitée vers la grande porte où se tenait Maponos.

_ « Ouvre la porte. Si tu me fais m’aimes. Prouve-moi ton amour. »

Dahut a ouvert la porte : La vaste mer verte s’est précipitée à l’intérieur.

_ « Maintenant, sauve Kêr-Is, car j’ai prouvé mon amour », cria Dahut.

Maponos s’est mis à rire et s’est transformé en un démon difforme avec le visage méchant et moqueur de Gwezenneg. Puis il a disparu.

Dahud terrorisée et désespérée, a traversé Kêr-Is en donnant l’alarme. Mor Glaz (La mer verte) engloutissait tout sur son passage.

Gradlon s’approcha d’elle sur son cheval de bataille Morvarc’h, le Cheval de la Mer.

_« Monte derrière moi, ma fille ! »

Dahut sauta sur la croupe de Morvarc’h. Gradlon avançait à toute allure devant la puissante marée. Mais la mer rattrapait Morvarc’h. Désespéré, Gradlon entendit la voix de Gwenole :

_ « Si tu veux te sauver toi et ton peuple, Gradlon, jette ta traîtresse de fille à la mer. »

Le cœur brisé, Gradlon fit ce qu’on lui demandait. Il poussa sa fille dans les vagues. La mer commença à se retirer, mis Kêr-Is resta submergée. Cependant tous les habitants de la ville ont pu rejoindre la terre ferme, à l’exception de Dahut.

Parce que Dahut était lié à la roue du destin, Gwenole eut pitié d’elle.

_« Tu vivras ton temps comme un Morgan (homme-poisson) dans le palais englouti de Kêr-Is pour l’éternité ! » s’écria-t-il.


Dahud prit alors la forme d’une sirène. Peignant ses cheveux dorés, elle attire encore les marins imprudents au fond de la mer par sa beauté et son chant de sirène dans Boe an Anaon, (la Baie des des Trépassés).

Gradlon, quant à lui, s’est rendu à Kemper et s’est converti à Gwenole. Il a nommé Corentin évêque de Kemper et a terminé ses jours dans la sainteté.


Une statue de Gradlon à cheval se dresse entre les tours de la cathédrale Saint-Corentin de Kemper. Mais prenez garde à Boe an Anaon près de la Pointe du Raz, de peur d’entendre l’appel séduisant de Dahut.

La chanson de La Villemarqué ajoute que le galop du cheval de Gradlon résonne encore une fois par an dans la région.

Les habitants disent aussi que par temps clair on peut entendre sonner les cloches des églises de Ker-Ys et voir les ruines de l’ancienne ville.


Pour celles et ceux qui en veulent plus :

La légende de la ville d’Ys n’est pas un cas isolé dans le légendaire celte. Un autre récit célèbre est le poème gallois de la submersion de Cantre’r Gwaelod, le « Cantref du fond », dans la baie de Cardigan, que l’on trouve dans le Livre noir de Carmarthen du XIIe siècle.

Au Pays de Galles Un cantref était une subdivision d'un comté d’une seigneurie.


Pour ceux qui sont intéressés par le sujet voici un article de Paul Harris paru dans l’édition de juin 1995 du magazine britannique « Prédictions » qui parle des terres englouties (cités perdues, royaumes et îles) qui se trouveraient autour du littoral des îles britanniques.

Résumé de l’article :

« Le littoral britannique est constamment attaqué par la mer. Au fil des siècles, de vastes étendues de terre ont été perdues, tandis que des ports médiévaux se retrouvaient bloqués à l’intérieur des terres par la dérive littorale et l’ensablement des estuaires. Dans ce contexte en constante évolution, il n’est pas surprenant que de nombreuses histoires circulent sur des royaumes, des villes et des îles autrefois engloutis sous les vagues. »

Cantrer Gwaelod,

« L’une des plus vastes de ces « terres perdues » semble être celle qui se trouve sous la baie de Cardigan, au Pays de Galles. Connue sous le nom de Cantrer Gwaelod, ou Bottom Cantred, cette terre aurait une longueur de 64 km et une largeur de 30 km, abriterait 16 villes et serait protégée de la mer par une série de digues. »

« Selon une histoire racontée dans les Triades galloises, un gardien de digue, ivre, laissa ouvertes des vannes qui conduisirent à l’envahissement du Cantrer Gwaelod par la mer.

On dit aujourd’hui que les cloches des églises peuvent être entendues sonner lugubrement depuis leurs emplacements sous-marins à certains moments et qu’à marée basse, lorsque l’eau est claire, on peut voir des bâtiments sous la mer peu profonde. »

« Les Triades datent le déluge de « l'époque d'Ambrosius ».Ambrosius était le chef celte entre 460 et 480 après J.-C., le déluge a donc dû se produire à cette époque.

Quelles preuves existent donc pour étayer la croyance locale et l' histoire des Triades ?

« Tout d’abord, il y a de longues crêtes de galets qui s’étendent jusqu’à la mer. Elles ressemblent à des défenses maritimes abandonnées et on pense souvent qu’elles le sont. Il y a aussi des vestiges mégalithiques dans les parties les moins profondes de la baie de Cardigan. »

« Il est donc indiscutable que des îles existaient au large de cette côte au cours des périodes néolithique et de l’âge du bronze, lesquelles ont depuis été submergées, laissant ainsi les structures mégalithiques sous la mer et indiquant que le niveau de la mer a augmenté depuis lors. Il existe également des restes fossiles de forêts qui ont dû exister pendant la période chaude après la fin de la dernière période glaciaire. Ceux-ci ne sont désormais exposés qu’à marée basse. »

« Cette élévation du niveau de la mer a affecté toute la Bretagne ( Angleterre), pas seulement la baie de Cardigan, et s’est certainement produite avant l’époque d’Ambrosius. Il semble donc que les indices d’une ancienne terre, aujourd’hui submergée, aient pu donner naissance à la légende de Cantrer Gwaelod, et non l’inverse.

L’ histoire des Triades pourrait faire référence à l’inondation d’une petite île ailleurs. En effet, elle présente une étrange ressemblance avec l’histoire de l’île de Ker Is qui, selon des sources celtiques, a coulé au large de la Bretagne au cours du VIe siècle. »

« Et qu’en est-il des digues maritimes ? Il semble que ce soient des formations naturelles. En fait, il n’a même pas été suggéré qu’il s’agissait de digues submergées avant le XVIIe siècle, selon la chercheuse et auteure en folklore Jennifer Westwood. »


Lyonesse    

« Les preuves sont cependant bien plus convaincantes concernant la légendaire terre perdue de Lyonesse, sans doute le plus connu de nos légendaires royaumes engloutis. Sa capitale, la Cité des Lions, aurait existé dans la région des Sept Pierres, qui se trouvent à sept miles à l'ouest de Land's End. »

« Lyonesse elle-même s’étendait de la péninsule de Cornouailles aux îles Scilly, contenait de nombreuses villes et villages et un total de 140 églises. Cette terre perdue a également sa place dans la légende arthurienne ; mais a-t-elle jamais existé ? »

« Il est certain que les îles Scilly étaient une seule île à l’époque de l’occupation romaine, car il existe des descriptions fiables de l’ insulam de Silvram ou de l’île Scilly en 240 après J.-C. et par Suplicius Severus vers 400 après J.-C.

En outre, les îles elles-mêmes montrent des signes d’inondation depuis l’âge du fer pré-romain, des huttes et des murs datant de cette période sont encore visibles dans les eaux peu profondes entre les îles. Ceci, avec les rapports romains mentionnés ci-dessus et la légende arthurienne de Lyonesse, suggère fortement l’existence d’une terre perdue ici au moins jusqu’au 5e siècle. »

« Peut-être que le déluge décrit dans les Triades galloises a également englouti Lyonesse ? Ou bien toutes ces légendes celtiques sont-elles nées d’un seul événement ? Quoi qu’il en soit, la chronologie de cette submersion particulière semble assez claire. Quant à la profondeur de la submersion, des recherches menées dans les années 1950 et 1960 la situent à 4,20 mètres depuis l’âge du fer. »

« Cela suffit à relier certaines îles Scillies entre elles, notamment grâce à des défenses maritimes, mais pas suffisamment pour permettre à la zone allant des Scillies à Land's End de se trouver au-dessus du niveau de la mer dans son intégralité, même si des parties telles que le récif des Sept Pierres le seraient. Pour permettre à l'ensemble du territoire légendaire de Lyonesse de se trouver au-dessus du niveau de la mer, il faudrait une chute de 18 mètres de la profondeur de l'océan. »

 Dunwich

« Une « cité perdue » est très bien documentée ici : Dunwich, sur la côte du Suffolk entre Southwold et Sizewell. C'était autrefois un port prospère situé sur la rivière Blyth et devint la capitale de l'Est-Anglie saxonne, atteignant son apogée au Moyen-Âge. Mais en janvier 1326, une catastrophe s'est produite. En une nuit, trois églises et plus de 400 maisons ont été emportées par une grande tempête et un million de tonnes de galets et de sable se sont accumulées à l'embouchure du port, coupant la rivière Blyth et la détournant vers le nord. »

   « Dunwich mourut, son commerce fut tué par cette disparition soudaine d’un port. La population déclina à mesure que les marchands s’éloignaient et que les défenses maritimes étaient négligées. Au milieu du XVIIe siècle, la place du marché fut inondée et les maisons les unes après les autres, les rues les unes après les autres, s’effondrèrent du haut des falaises, dans la mer qui avançait. Aujourd’hui, il ne reste qu’une église, un prieuré en ruine, un pub et quelques maisons. »


Sources:

Harris, Paul., 'Beneath The Waves' (article dans le magazine Prediction), juin 1995, volume 61, numéro 6, Croydon, Surrey.

https://en.wikipedia.org/wiki/Cantre%27r_Gwaelod

https://en.wikipedia.org/wiki/Land%27s_End

https://en.wikipedia.org/wiki/Dunwich