Jeanne de Belleville 
la pirate bretonne

Par Armanel - conteur


Voici l’histoire d’une Bretonne qui décide de s’embarquer dans une aventure périlleuse pour venger l’honneur de son mari, en devenant la première femme pirate de l’histoire de France. C’est l’épopée extraordinaire de Jeanne de Belleville, la lionne de Bretagne.

Son histoire a suscité beaucoup de fantasmes et elle s’est vu attribuer beaucoup de surnoms très évocateurs tels que : « Tigresse bretonne », « lionne sanglante » « lionne de Bretagne ».... 
Et pourtant, il n’existe que peu de documents concernant la veuve d'Olivier de Clisson : Presque uniquement que sa condamnation par le roi de France, inscrite dans les registres criminels du Parlement de Paris en décembre 1343. Dans ce texte rédigé en latin, Jeanne de Belleville est accusée de rébellion et se voit confisquer l'ensemble de ses biens. Jeanne de Belleville, mère du futur connétable Olivier de Clisson, est aussi mentionnée dans le texte de la trêve signée entre la France et l'Angleterre en 1347 où elle est décrite comme une alliée du roi anglais Édouard III. De plus, Jeanne de Belleville apparaît dans quelques manuscrits moyenâgeux ; la Chronique Normande et la chronique des rois de France écrite au XVe siècle. La lecture de ces textes semble confirmer qu'elle était devenue une corsaire accréditée par les britanniques, même si nous n’y trouvons que peu d'informations précises sur ses forfaits.

Pirate sanguinaire à la tête d’une flottille de trois bateaux aux coques noires et aux voiles rouge sang, en souvenir de la mort de son mari et de son deuil, Jeanne de Belleville prenait toujours la mer avec ses fils, afin de venger l’honneur et la mémoire de leur père. Elle aurait écumé la Manche et les rivages de l'Atlantique pendant une dizaine d’années...


Jeanne de Belleville devient un personnage de fiction célèbre au XIXe siècle, grâce à Émile Péhant, poète breton ami de Victor Hugo, qui fait de Jeanne de Belleville son héroïne en 1868. Dès lors, plusieurs romanciers s'emparent de l'histoire de cette femme devenue corsaire par amour. Mais en vérité, sa période active de corsaire ne dure que quelques mois, juste après l'exécution de son mari. Ensuite Jeanne de Belleville ira vivre à la cour d'Angleterre pour élever son fils Olivier, le futur connétable, ainsi que le fils du comte de Montfort. En 1353, Jeanne de Belleville épouse Gautier de Bentley, lieutenant du roi d'Angleterre, et finira sa vie à Hennebont, à la cour de Jeanne de Flandre, la veuve de Jean de Montfort. C'est là, qu'elle mourra en 1359.


Jeanne-Louise de Belleville née vers 1300 à Belleville-sur-Vie (Vendée), est la fille de Létice de Parthenay et de Maurice IV de Montaigu, seigneur de Belleville et Palluau. Son père meurt lorsqu’elle a quatre ans. Puis elle est mariée à l'âge de 12 ans à Geoffroy VIII de Chateaubriand qui meurt en 1326. Quatre ans plus tard, Jeanne de Belleville épouse en secondes noces le seigneur Olivier IV de Clisson, membre de l'une des plus grandes familles de la noblesse bretonne, avec qui elle aura cinq enfants.

Jeanne de Belleville vit durant la guerre de Cent Ans (1337-1453)  qui fait rage entre les Français et les Anglais dont les troupes ont débarqué à Brest, au milieu d’un nouveau conflit qui vient d’éclater : la guerre de succession de Bretagne (1341-1364).

La guerre de succession de Bretagne éclate en avril 1341, quand Jean III, duc de Bretagne, décède sans laisser d’héritier. Son duché est disputé d'une part par sa nièce, Jeanne de Penthièvre, l’épouse de Charles de Blois, et de l'autre par Jean de Montfort, le demi-frère du duc décédé. Le duché de Bretagne devient alors un enjeu au-delà même de ses frontières.

En effet, si le roi Philippe VI (France) défend le parti de son neveu Charles de Blois, plusieurs Bretons se rassemblent sous la bannière des Montfort   (héritiers légitimes du duché ?). Jean de Monfort s'est autoproclamé duc de Bretagne après avoir conquis une partie du territoire et rallié une majorité des seigneurs bretons à sa cause (Parmi ceux-ci, Amaury de Clisson et son frère Olivier). Ceux-ci refusent l’annexion à la France, préférant s’allier au roi Édouard III  (Angleterre) qui lorgne depuis longtemps sur la couronne de France.

Mais le destin ne favorise pas ces bretons et après deux années de guerre fratricide Jean de Montfort est vaincu, en 1341, dans la ville de Nantes et fait prisonnier par le roi de France. Amaury de Clisson fuit vers l'Angleterre et devient tuteur du fils de Montfort.


Le mari de Jeanne de Belleville, Olivier IV de Clisson, réitère son allégeance à Charles de Blois et au roi de France

L'année suivante, une flotte anglaise débarque une armée de 10.000 hommes sous les murailles de Vannes, commandée par Hervé de Léon et Olivier de Clisson (le fils de Jeanne de Belleville). Alors qu'Édouard III vient personnellement superviser le siège de Vannes, Olivier de Clisson est fait prisonnier.

Malgré l’intervention du pape Clément VI et la signature de la trêve de Malestroit (janvier 1343) censée mettre fin aux querelles incessantes entre les deux camps rivaux, les vieilles rancœurs persistent et une ombre plane sur les Bretons rebelles.

Clisson est échangé contre le comte de Stanford. Cependant « il est dit que, pendant que les armées françaises et anglaises se battaientt près de Vannes, Clisson suivit l'exemple de plusieurs autres seigneurs et traita avec l'Angleterre ».


Olivier, sire de Clisson est donc soupçonné par le roi Philippe de pactiser avec les Anglais et de vouloir leur livrer la ville de Nantes. Le roi lui reproche également d’avoir retourné sa veste en abandonnant la maison de Blois pour le clan des Montfort. Et, à l’occasion d’un grand tournoi organisé à Paris le 2 août 1343 en l’honneur du mariage de son fils, auquel il convié tous les grands seigneurs du royaume, Philippe VI piège Olivier de Clisson. Accusé de haute trahison, il est arrêté au beau milieu de la fête, condamné à mort sans le moindre jugement et exécuté ainsi que quatorze autres seigneurs bretons. Afin de marquer les esprits, la mise en scène de sa mort est des plus violentes : Olivier est d’abord conduit, presque nu, aux halles en Champeaux (Les Halles de Paris) où on lui tranche la tête puis, tandis son corps est envoyé pendre aux fourches patibulaires de Montfaucon et sa tête est piquée au bout d’une lance et exhibée au-dessus de la porte Sauve-Tout, sur le mur d’enceinte de la ville de Nantes où la rébellion bretonne vient d’être écrasée.


« Dès que la nouvelle du supplice d'Olivier de Clisson est parvenue en Bretagne, ses nombreux amis se réunissent et offrent leurs services à Jeanne de Belleville, sa veuve. Cette dernière, au lieu de se suivre à un deuil inutile, désire se venger de cet outrage cruel. Le courroux de Jeanne de Belleville s'abat d'abord sur la place forte de Château-Thébaud, commandé par Galois de la Heuse. Faisant mine de rentrer d’une longue partie de chasse éreintante, la belle damoiselle quémande l’hospitalité, juste le temps de se réchauffer.

Galois de la Heuse, fidèle à Charles de Blois, qui n'est pas encore au courant de l'exécution d'Olivier de Clisson, accueille sa femme avec tous les honneurs dus à son rang. La place forte est mise à sac par les 400 partisans que Jeanne a rassemblé, composés notamment de plusieurs seigneurs bretons.

Dans cette première attaque, la majorité de la garnison est passée par les armes, mais la veuve d'Olivier de Clisson épargne quelques hommes afin de répandre la nouvelle de sa vengeance. Pendant plusieurs semaines, la soif de vengeance de Jeanne est intarissable et les carnages se multiplient. Elle anéantit ainsi au moins six châteaux, exterminant sur son passage tous ceux qui ont fait allégeance au royaume de France.


« Charles de Blois, instruit de cette aventure, assembla du monde pour arrêter Jeanne de Belleville, mais la belle ne l'y attend pas. Elle a pris la mer avec sa troupe, et venge la mort de son mari sur beaucoup de marchands français... », écrit Dom Lobineau, dans son « Histoire de la Bretagne » publiée en 1707.


À la demande du roi Philippe — que les agissements de « la lionne de Bretagne » inquiète grandement — Jeanne est convoquée par le parlement de Paris. Mais elle n’est pas dupe et connaît le sort qui lui sera réservé si elle s’y rend, aussi se garde-t-elle bien de répondre à cette invitation. Le roi Philippe, furieux, envoie alors ses troupes assiéger le château des Clisson, mais avant que l’armée ne parvienne sur ses terres, la châtelaine a déjà vendu toutes ses richesses pour s’offrir un bateau. Abandonnant sa demeure,  « la lionne » a pris le large avec ses deux fils et franchi la Manche pour se rendre auprès du roi d’Angleterre qui lui offre tout son soutien.

Jeanne, qui s'est réfugiée en Angleterre, investit tout l'argent qui lui reste, et avec l'aide financière du roi anglais Édouard III, fait armer trois bateaux. Pendant plusieurs mois, elle va écumer les mers de la Manche et de l'Atlantique, s'attaquant systématiquement aux navires battant pavillon français. « Une gigantesque entreprise de course qui ruinait ainsi une grande partie du commerce maritime français. Commandant elle-même sa flotte, Jeanne de Belleville fera subir aux partisans de Charles de Blois et du roi de France de nombreuses pertes, « s'attaquant aux bateaux de guerre français moins forts que les siens et à tous les vaisseaux marchands, elle mettait à mort sans merci tous les Français tombés entre ses mains », publie la Chronique Normande du XIVe siècle... Elle devient la terreur des mers, abordant et pillant tous les navires français qui ont le malheur de croiser son chemin. Parfois, elle se rapproche des côtes normandes et pose pied à terre le temps d’assiéger quelques châteaux avant de disparaître à nouveau dans la brume… Partout on raconte l’histoire incroyable de cette insaisissable guerrière ne craignant ni Dieu ni Diable, jupes retroussés dans la ceinture et glaive au poing, guettant à la poupe de son navire le moment d’aborder l’ennemi pour l’anéantir aux fonds des eaux. Les hommes de son équipage sont ébahis par tant de férocité, de détermination et de beauté.

Ainsi naît la légende de Jeanne de Belleville, la lionne des mers



Mais en 1345, Philippe VI décide d’en finir et lance ses navires royaux aux trousses de la jolie rebelle. De violentes batailles navales se livrent alors entre les deux camps et un jour d’hiver où la mer était déchaînée, un navire portant pavillon français parvient à aborder le vaisseau amiral de Jeanne, celui qu’elle avait baptisé « Ma Vengeance ». Aussitôt, elle se réfugie dans sa cabine pour rassurer ses deux fils terrorisés par le bruit des lames qui s’entrechoquent et par les râles des mourants qui gisent déjà en nombre sur le pont. Au-dehors, l’ennemi lui hurle de se rendre mais la lionne sait qu’elle ne peut livrer ses petits à la barbarie d’une armée qui la traque depuis des années. Alors il faut agir, et vite. Ni une ni deux, elle met à flot une chaloupe dans laquelle elle prend place avec ses enfants et profite de la pagaille générale pour s’éloigner silencieusement sur les eaux vaporeuses. Pendant une longue semaine, la barque dérive au milieu des eaux glacées, sur une mer agitée qui manque cent fois de les faire chavirer. À bord, les occupants n’ont ni eau ni vivres et Jeanne peine à manier les lourdes rames. Comble du désespoir, le petit Guillaume, transi de froid, succombe au bout de quelques jours malgré les soins assidus prodigués par son grand frère Olivier qui, traumatisé, continue de serrer contre lui le petit corps sans vie, essayant désespérément de le réchauffer. Le sixième jour de cette effroyable navigation l’équipage aperçoit au loin des côtes, celles de Bretagne.


C’était en Angleterre que Jeanne voulait accoster mais, chancelants et faméliques, c’est au port de Morlaix que les rescapés débarquent. Dans cette ville qui était demeurée fidèle au camp des Montfort, Jeanne et Olivier trouvent refuge auprès de Jeanne la Flamme, l’épouse de Jean de Montfort, qui les prend sous son aile et les invite dans son château de Hennebont. Enfin en sécurité, la vie reprend peu à peu son cours et quelques années plus tard, vers 1349, Jeanne épouse Gauthier de Bentley, un lieutenant du roi d’Angleterre installé en Bretagne auprès duquel elle finira paisiblement ses jours. Le jeune Olivier de Clisson, est envoyé en Angleterre, mais il revient bien vite en Bretagne où il se brouille avec les Montfort.

Aux côtés de son frère d’arme et fidèle ami le célèbre Bertrand du Guesclin, il devient connétable et se met au service du trône de France sous les règnes de Charles V et Charles VI. Connu pour sa vaillance, mais aussi pour sa cruauté sur les champs de bataille – où il perdit d’ailleurs un œil – Olivier sera surnommé Clisson le boucher ! Il participera avec le duc Jean IV à l’instauration de l’Ordre de l’Hermine, l’un des plus anciens ordres de chevalerie, dans lequel pouvaient être admis autant les hommes que les dames.