l’équipage perdu.
Molène
Proposé par le conteur Armanel
Molène, voisine d’Ouessant était réputée pour la hardiesse de ses pêcheurs. C’étaient des marins qui n’avaient pas froid aux yeux et, disait-on, capables d’aller pêcher là où les Ouessantins ne se risquaient pas.
Cette nuit-là, le ciel était très dégagé et la lune brillait de toute sa force dans le ciel étoilé. Comme à chaque pleine lune, Janick n’arrivait pas à fermer l’œil. Comme le ciel était pur, que la nuit n’était pas froide et qu’il n’y avait pas de vent, hormis une petite brise marine, Janick se décida à se rhabiller et à aller prendre le frais.
Janick habitait sur la partie la plus haute du bourg et donc de l’île que les anciens appelaient le Gorre kear, donc près du télégraphe qui s’élevait sur les terres du citoyen Ballut. De cet endroit qu’elle appréciait beaucoup, elle pouvait voir toute l’île éclairée par la couleur blafarde de la lune. Son regard fouillait distraitement l’horizon quand elle aperçut quatre pêcheurs qu’elle reconnut immédiatement (tout le monde se connaît à Molène) qui descendaient d’An Telegrah vers l’église nouvelle, dédiée à Saint Ronan et inaugurée une dizaine d’années auparavant. Janick les suivit des yeux ; c’était l’équipage d’un de ces bateaux de pêche comme il y en avait tant à Molène à la grande époque de la pêche à la langouste rouge. Ils passèrent devant la statue de Saint Joseph et continuèrent leur route vers l’église de Sant Reunan, et sans doute, pensa Janick vers le port de l’île où devait se trouver leur bateau.
Mais si Janick n’était pas plus étonnée que ça de voir un équipage se rendre à son bateau, elle était quand même surprise de l’heure à laquelle ces chrétiens se promenaient dans le bourg, car ce n’était pas vraiment une heure à partir à la pêche, même à vouloir partir très tôt. Perdue dans ses pensées et ses réflexions, Janick perdit l’équipage de vue, un peu comme s’i les hommes s’étaient volatilisés. Mais, vous le savez, la nuit tous les chats sont gris et la lumière, même avec la pleine lune, est souvent trompeuse. Aussi Janick retourna chez elle dans l’espoir de pouvoir grappiller quelques heures de sommeil.
Quand elle se réveilla, au petit matin, une nouvelle courait dans l’île : Un bateau de pêche manquait à l’appel. Mais s’il manquait à l’appel ce n’est pas parce qu’il était parti de bonne heure ce ma tin même, mais bien parce qu’il n’était pas rentré au port la veille au soir. Tout le monde était rassemblé devant l’église et les conjectures allaient bon train. On écoutait tous ceux qui savaient quelque chose, on rapprochait les informations, on recoupait toutes les paroles et les non-dits, bref tout ce qui venait ou ne venait pas des uns et des autres, et il en ressorti ceci :
La veille, donc, l’équipage manquant était parti avec toute la flottille de l’île pour fouiller les fonds à langouste. Cette pêche, qui était nouvelle pour ces marins, rencontrait un vif succès car elle était très lucrative : le crustacé se vendait très bien et la ressource, peu utilisée jusque là, semblait inépuisable. Il fallait se rendre sur les fonds à langouste situés de l’autre coté de l’île d’Ouessant pour récupérer cette manne que les Ouessantins dédaignaient ou n’étaient pas équipés pour cette capture.
Le témoignage le plus sérieux fut donné par un équipage qui était le dernier à les avoir vus sur zone. Les deux bateaux pêchaient non loin l’un de l’autre quand, tout à coup, un des deux disparut de façon incompréhensible : le temps était calme, la visibilité parfaite, la mer pas méchant du tout, mais sur les haut-fonds on n’est jamais à l’abri d’une surprise. Les pêcheurs savent d’expérience que la mer peut y être traîtresse ou avoir des lubies.
On ne revit jamais cet équipage. On ne retrouva jamais trace du bateau. Perdus Corps et Biens, telle fut la conclusion. Jamais on ne put procéder à l’enterrement même si on ne manqua pas de dire des messes pour eux, et de bâtir des cénotaphes, bien sûr.
Janick avait fini par comprendre ce matin-là, que ce n’étaient pas des marins se dirigeant vers le port, mais bien des âmes se rendant à l’église, qu’elle avait aperçue.
P.P.E. (Priez Pour Eux)