HABITROT.  

Selkirkshire _ ECOSSE

Le Selkirkshire ou comté de Selkirk est un comté d'Écosse, entouré par le Peeblesshire à l'ouest, le Midlothian au nord, le Berwickshire au nord-est, le Roxburghshire à l'est, et le Dumfriesshire au sud. Il doit son nom à sa capitale, le burgh royal de Selkirk

Texte choisi par Lord Blakwood
Traduit par Armanel-conteur _2021
Pour Myriam Darmante Conteuse

 

A l'époque où la filature était l’occupation habituelle des femmes, le rouet avait son génie bienfaiteur. Les écossais le connaissaient sous le nom d’Habitrot et voici une légende qui en parle:


Une matrone du Selkirkshire avait une fille, blonde, du nom de Moïra, qui aimait bien mieux jouer que travailler, et courir dans les prés et les chemins plutôt que de manier le rouet et la quenouille. La mère était très en colère de voir Moïra agir ainsi, car à cette époque-là, aucune fille n'avait la moindre chance d'avoir un bon mari si elle n'était pas une jeune fille travailleuse. Alors, elle a encouragé, menacé et même battu sa fille, mais en vain; la fille est restée ce que sa mère appelait, "une mignonne oisive".


Furieuse contre sa fille, un matin de printemps, la brave femme lui donna sept écheveaux de laine, en lui disant que cette fois-ci elle n’accepterait aucune excuse; les sept écheveaux de laine devraient être filés dans les trois jours. Moïra a vu que sa mère était sérieuse, alors elle a manié sa quenouille aussi bien qu'elle le pouvait; mais ses petites mains étaient maladroites et le soir du deuxième jour, seule une très petite partie de sa tâche était accomplie. Cette nuit-là, Moïra a pleuré avant d’aller dormir, et le matin, jetant son travail de désespoir, elle s'est promenée dans les champs en se roulant dans la rosée. Moïra arriva près d’une butte fleurie, au pied de laquelle courait une petite rivière, ombragée de bois et de roses sauvages; et là elle s'assit, enfouissant son visage dans ses mains.

Quand Moïra leva les yeux, elle fut surprise de voir une vieille femme inconnue au bord de la rivière, "tirant le fil" pendant qu'elle se chauffait au soleil, assise sur une pierre ronde percée en son centre comme la meule d’un moulin. C’était une vieille femme quelconque sans signe distinctif, si ce n'est la longueur et l'épaisseur de ses lèvres. Moïra se leva, alla vers la vieille femme et lui adressa un salut amical, mais ne put s'empêcher de chercher à savoir ce qui avait rendu ses lèvres si longues.

_ « C’est à force de mouiller le fil, ma chérie, » dit la vieille femme, heureuse de s’être fait une nouvelle amie et ne ressentant aucune gêne concernant la remarque de la jeune fille sur la longueur de ses lèvres.

Il faut savoir que les fileuses avaient l’habitude de mouiller leurs doigts avec leurs lèvres, quand elles tiraient le fil de la quenouille.

_ « Ah! » dit Moïra, « je devrais moi aussi être en train de filer, mais c'est impossible, je n’arriverai jamais au bout de ma tâche; »

Alors la vieille femme a lui a proposé de travailler pour elle. Folle de joie, Moïra courut chercher sa laine et la plaça dans la main de sa nouvelle amie, lui demandant son nom et où elle devrait venir chercher le fil le soir; mais elle n'a pas reçu de réponse; la vieille femme avait disparu parmi les arbres et les buissons. Moïra, très déconcertée, erra un peu, s'assit pour se reposer et s'endormit enfin près de la petite butte.

Quand Moïra se réveilla, elle fut surprise de constater que c'était déjà le soir. Le soleil se couchait à l’horizon et le crépuscule s’installait. L’étoile polaire rayonnait d'une lumière argentée, qui allait bientôt se perdre dans la splendeur croissante de la lune. Alors qu’elle rêvassait en regardant le ciel, Moïra fut réveillée une grosse voix qui semblait provenir de dessous la pierre percée qui était près d'elle. Elle colla son oreille sur la pierre et entendit distinctement ces mots:

_ « Sachez belle demoiselle que vous êtes sur le domaine d’Habitrot. »

Puis, regardant dans le trou, elle vit son amie, la vieille dame, se promener dans une caverne profonde parmi un groupe de vieilles femmes occupées à filer, toutes assises sur des pierres blanches pareilles à celles qu’on trouve dans les rivières, C’était une drôle d’équipe ; elles avaient toutes les lèvres plus ou moins défigurées par leur emploi, tout comme le vieil Habitrot. Une autre vieille femme assise à l’écart du groupe avait en plus des yeux gris qui semblaient sortir de sa tête et un long nez crochu.

Au fur et à mesure qu'elle filait, elle comptait ainsi:

_ « Un tour, deux tours, trois tours, et de un. La vieille femme a continué jusqu'à ce qu'elle ait fait une pause pour enlever un écheveau de laine faisant plus de trente mètres de long.

Tandis que Moïra regardait tout cela, elle entendit Habitrot appeler cette vieille femme par le nom de Scantlie Mab et lui dire de nouer le fil, car il était temps que Moïra le donne à sa mère. Ravie d’entendre cela, Moïra s'est levée et est retournée chez elle : Habitrot la rejoignit et plaça le fil entre ses mains.

_ « Oh, comment puis-je vous remercier? » s'écria-t-elle avec ravissement.

_  « Pas besoin de nous remercier répondit Habitrot; "Mais ne dit surtout pas à ta mère que c’est nous qui avons filé le fil. »

Moïra entra chez elle, où elle vit sa mère en train de dormir car elle était très fatiguée après avoir confectionné des boudins noirs qu’elle avait suspendu dans la cheminée. Très affamée après sa longue journée sur la colline, Moïra a pris boudin noir après boudin noir, les a cuits et les a mangés, avant d’aller se coucher elle aussi. Le lendemain matin, la mère se leva la première. Quand elle entra dans la cuisine et trouva ses sept écheveaux terminés, bien lisses et brillants sur la table, elle fut si heureuse qu’elle sortit de la maison en criant :


_ « Ma fille a tout filé, j’en suis témoin, je l‘ai vu, je l‘ai vu.
Ma fille a tout fini, j’en suis témoin, je l‘ai vu, je l‘ai vu.
Et tout cela avant le lever du jour »


Un seigneur, qui passait par là, entendit les cris de la mère, mais ne comprit pas; il est monté vers la maison et a demandé à la brave femme quel était le problème. Alors elle a crié à nouveau


_ « Ma fille a tout filé, j’en suis témoin, je l‘ai vu, je l‘ai vu.
Ma fille a tout fini, j’en suis témoin, je l‘ai vu, je l‘ai vu.
Et tout cela avant le lever du jour

Et si vous ne me croyez pas, venez le constater par vous même. »


La curiosité du seigneur fut éveillée; il descendit de cheval et entra dans la chaumière où il vit le fil qui était si beau qu’il implora de voir la fileuse.


La mère est allée chercher sa fille rougissante. Le seigneur tomba amoureux d’elle et déclara qu'il vivait seul sans femme et cherchait depuis longtemps une bonne fileuse. La cérémonie de mariage a donc eu lieu peu de temps après, la mariée étouffant ses craintes de ne pas être aussi habile avec son rouet que son nouveau mari le pensait. Et une fois de plus, Habitrot lui vint en aide.

_ « Amenez votre mari dans ma caverne», a-t-il dit à la jeune mariée peu après son mariage; « Il verra ce que c’est de tourner un rouet, et il ne te demandera jamais plus de filer la laine. »


"Nous qui vivons dans cette tanière

Sommes à la fois difformes et moches à voir,

Nous ne voyons jamais le soleil

C'est nous vivons cachés sous terre:

Nos soirées longues et solitaires

Se passent sous la pierre percée.

Jamais nous ne voyons le coucher de soleil

Ni l’étoile polaire scintiller.

Est-ce normal et juste.

Alors que nous voudrions respirer l’air du soir?

Et nous asseoir sur la pierre percée

Afin de voir le soleil se coucher".


La chanson terminée, Habitrot invita le couple de jeunes mariés à venir voir sa famille sous terre.

Le seigneur était stupéfait devant cette étrange compagnie, comme vous pouvez bien l’imaginer et il s'informa auprès des femmes de la cause de la forme de leurs lèvres. Toutes lui ont répondu que leurs lèvres s’étaient allongées à force de filer la laine, tandis qu'Habitrot insinuait sournoisement que si sa femme se mettait à filer, ses jolies lèvres deviendraient également déformées, et son joli visage ne serait plus agréable à regarder. Donc, avant de quitter la grotte, le seigneur a juré que sa petite femme ne devrait jamais plus toucher un rouet, et il a tenu parole. Elle se promenait dans les prés à ses côtés, ou chevauchait derrière lui sur les collines, et tout le lin cultivé sur ses terres était envoyé au vieil Habitrot pour être transformé en fil.