Gurvan & Nezig
Scrignac
Armanel _ conteur
- Mon homme, dit un matin, Nezig à Gurvan, notre cabane est bien sombre et bien enfumée; si nous faisions le tour du monde pour chercher fortune.
- Faisons le tour du monde pour chercher fortune, répondit Gurvan qui avait la pacifique habitude de ne jamais contredire « son côté droit » comme il appelait sa femme. Entre parenthèse, Gurvan connaissait l'ancien testament comme un frère et savait que Dieu tira la première femme du côté droit du premier homme. Ils partirent donc, un penn-baz à la main, un bissac sur le dos. Voilà un kilomètre de fait:
- Idiot! s'écrie tout-à-coup Nezig, les deux poings sur les hanches et d'un air superbe de mépris: idiot! Tu as encore oublié de tirer la porte après toi ! Retourne ù la maison et dépêche! Gurvan retourne à la maison et se dépêche.
- Quelle drôle d'idée a eue ma femme tout de même! dit-il à part lui; mais il se hâte d'ajouter avec mansuétude: - Après tout, c'est ma femme et j'obéis toujours à ma femme: C'est un principe.
Sans plus de discussion, Gurvan arrache la porte de ses gonds et... l'endosse. Vous comprenez ce que je veux dire? Eh bien, moi aussi; cela suffit. Gurvan a bientôt rejoint Jeannette qui lui lance un regard tout de travers:
_ Oh! Triple fou! Peut-on avoir un mari comme ça, tout de même! s'écria-t-elle sur le ton de la plus profonde conviction: je t'avais dit de tirer la porte après toi, c’est à dire de la fermer de peur des voleurs et tu la prends sur ton dos! Enfin, ajoutât-elle, ironique: Enfin, ça te regarde, si ça te fait plaisir de la porter! Chacun son goût, c'est ton affaire.
Et, sans plus parler, ils continuent leur route. Bientôt Gurvan respire bruyamment. Il est essoufflé. Pas étonnant! On est en plein été, la chaleur est étouffante et- ne l'oubliez pas!- il a sur les épaules une porte massive un peu plus lourde qu'un chupenn de velours! A la tombée de la nuit, nos héros arrivent auprès du " bois de la vache de bois " entre Le Huelgoat et Scrignac. Ils y ont à peine pénétré qu'ils voient à une cinquantaine de mètres environ une troupe de voleurs: Terreur ! !
- Vite! Vite!· grimpons sur un arbre! s'écrie Nezig.
C'est bien tôt fait. Gurvan qui n'a eu garde de quitter sa porte l'installe à plat ventre sur le sommet de l'arbre et... somme toute, nos deux époux se trouvent dans une position relativement commode. Malheur! Les voleurs viennent s'asseoir au pied de l'arbre et se mettent à compter leur argent.
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- Gurvan! Mon ami Gurvan! dit tout à coup Nezig à voix basse, mais d'un ton suppliant, suppliant!
- Qu'y a-t-il, ma femme?
- J'ai ... j'ai envie! .de faire pipi
- Fais vite, fais vite
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- Tiens! s'écrie un des voleurs, il pleut ici!
- Oui, répond un autre, et de la pluie d'orage encore! Elle est chaude!
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- Gurvan! Gurvan! dit encore Nezig comme une plainte.
-Qu'est-ce !
-J'ai envie ..... heumm !
- Fais vite mais. .... fais bien attention!
- Bon! Voilà maintenant la lune qui tombe en morceaux! s'exclame un voleur.
- Oui, pardieu! Et la lune de miel encore! Ajoute un autre.
- Du miel qui ne sent pas la rose! Conclut un troisième en faisant la grimace.
Gurvan se croit découvert, perdu. Il pousse un cri, cri de rage et de désespoir qui ressemble à un hurlement. D'un vigoureux coup de pied, il lance la porte sur les voleurs éperdus qui s'enfuient au plus vite en criant :
_ « Le diable! Le diable ! »
Gurvan et Nezig qui se sont un moment accrochés aux branches descendent bientôt de l'arbre. Poussée par Gurvan, Nezig fait un faux pas et roule ... sur l'or que les voleurs ont oublié dans leur panique. Rien de mal comme vous voyez. Il y avait là des millions et des millions ..... C'est de ce temps que date le proverbe suivant lequel mettre le pied dans certaine chose- plus facile. . , à sentir qu'à nommer- porte bonheur ...
Les poches de Gurvan et de Nezig ne suffisent pas. Ils remplissent leurs chemises de pièces de vingt francs, comme de vulgaires noisettes. Le trésor n'est pas épuisé; Gurvan empile des pièces de cinq francs sur la porte, la pose sur sa tête et:
- «En route pour la cabane! »
Elle est bien vite remplacée par un château magnifique. Nos époux sont heureux. Lorsque dans ses moments de mauvaise humeur (où est la femme qui n'en a pas?) Nezig reproche à Gurvan de lui a voir donné une poussée trop brutale quand elle descendait de l'arbre, ce modèle des maris répond invariablement:
- Femme, c"était la première fois que je me mettais en colère contre toi et, cette première fois, m'a colère t'a fait tomber sur ... la … fortune.