ETIN le ROUGE
Ecosse
Archives de Lord Blackwood
Traduit par Armanel - conteur
Il y avait autrefois deux sœurs qui vivaient sur un petit lopin de terre qu'elles louaient à un fermier. L’aînée des deux sœurs avait deux fils, tandis que l'autre n’en avait qu’un seul. Les trois cousins étaient élevés par les deux sœurs sans distinction et grandissaient dans une fratrie heureuse et unie. Mais les années passèrent et les temps de disette arrivèrent. Lorsque ce temps arriva, celle qui avait deux fils décida de les envoyer chercher fortune . Comme elle ne pouvait ou ne voulait pas se séparer de Bruce et Abhain, ses deux fils, elle dit à Bruce, son fils aîné, de prendre un pot et d’aller au puits pour lui rapporter de l'eau afin qu’elle puisse lui préparer un *Bannock pour le voyage.
Elle lui expliqua que la grosseur du Bannock serait en fonction de la quantité d'eau qu'il apporterait.
Bruce alla vers le puits avec son pot, le remplit et revint en courant à la maison. Mais son pied gauche heurta une pierre et le pot s'étant fêlé, la plus grande partie de l'eau s'écoula en chemin. Le Bannock fut donc tout petit; cependant tout petit qu'il était, la mère demanda à Bruce s'il n’en voulait que la moitié mais avec sa bénédiction, ou le tout mais avec sa malédiction. Le jeune homme, songeant à la longue route qui l’attendait, choisit le Bannock tout entier, sans se préoccuper de la malédiction de sa mère. Ensuite il s’éloigna avec Abhain et lui dit:
«Je vais partir courir le monde pour chercher fortune. Mais la route peut être longue et dangereuse. Voici un couteau que je te demande de conserver jusqu'à mon retour. Tu le regarderas tous les matins; aussi longtemps que le couteau restera brillant, tu sauras que tout va bien pour moi, mais si le couteau se met à rouiller, c'est qu’il m'est arrivé un malheur.»
Alors
Bruce partit chercher fortune. µ
Il marcha pendant sept jours
sans rencontrer personne. Le huitième jour dans l'après-midi, il
rencontra un berger qui gardait son troupeau. Il lui demanda:
«A qui sont ces moutons? »
Le berger répondit:
«
Ils sont la propriété d’Etin le Rouge d'Irlande qui vivait jadis
à Bellygan.
il
a enlevé la fille du roi Malcolm, le roi vertueux de la belle
Écosse.
Il
a chargé de chaînes la pauvre princesse;
Et tous les jours il
la frappe avec une baguette d'argent.
Comme
l’Empereur Julien de Rome, il ne craint personne.
On
dit qu'un jour viendra un homme destiné à le tuer.
Mais
cet homme n'est pas encore né!
Et n'est peut-être pas près
de naître. »
Bruce poursuivit sa route et dans la soirée il aperçut un vieillard aux cheveux blancs qui gardait un troupeau de porcs. il alla vers lui et lui demanda à qui étaient ces porcs et l'homme lui fit une réponse semblable à celle du premier berger.
«
Ils appartiennent à Etin le Rouge d'Irlande qui vivait autrefois à
Bellygan.
il
a enlevé la fille du roi Malcolm, le roi bien aimé de la belle
Écosse.
Il
a chargé la pauvre princesse de chaînes;
Tous les jours il
frappe la princesse avec une badine en argent.
Pareil
à Julien l’Empereur de Rome, il ne craint personne.
Un
jour viendra un homme pour le tuer.
Mais
cet homme n'est pas encore né!
Et n'est sans doute pas près
de naître. »
Alors Bruce poursuivit sa route et le neuvième jour au matin, il rencontra un vieillard encore plus âgé que les précédents et qui faisait paître des chèvres. Il lui demanda à qui étaient ces chèvres.
Le vieillard lui répondit comme les précédents :
«
Ces chèvres appartiennent à Etin le Rouge d'Irlande qui vivait à
Bellygan.
il
a enlevé la fille du roi Malcolm, le roi adoré de la belle Écosse.
Il
a chargé la jeune princesse de chaînes;
Tous les jours il
vient la frapper avec un fouet en argent.
Tel
Julien l’Empereur de Rome, il n’a peur de personne.
Il
est dit qu’un jour un homme viendra pour le tuer.
Mais
cet homme n'est pas encore né!
Et n'est sans doute pas près
de naître. »
Puis, le vieillard conseilla à Bruce de faire demi-tour, ou de faire bien attention aux animaux qu'il rencontrerait s’il continuait son chemin, car ils ne ressemblaient en rien aux animaux qu'il avait vu jusque-là.
Bruce refusa de rebrousser chemin et continua sa route. Il vit une multitude de bêtes effrayantes: chacune d’elles avait deux têtes et chaque tête quatre cornes ; deux cornes dressées vers l’avant et deux cornes enroulées autour des oreilles. Il eut très peur et détala le plus vite qu’il put.
Puis Bruce arriva sans autre incident face à un château bâti sur une colline et dont la porte était grande ouverte. Il entra dans le château afin d’y chercher un abri et se trouva face à une vieille femme assise près du feu dans la cuisine. Il lui demanda s'il pouvait passer la nuit, car il était très fatigué de son long voyage.
La vieille femme lui répondit qu'il le pouvait s’il le voulait, mais que la place n'était pas bonne pour lui, car le château appartenait à Etin le Rouge, qui était une bête terrible à trois têtes et qui n'épargnait jamais ceux dont il s'emparait.
Bruce serait volontiers parti, mais la peur qu'il avait des bêtes qui erraient au dehors le retint au château. Il demanda alors à la vieille femme de le cacher de son mieux et de ne rien dire à Etin le Rouge.
Il
eut à peine le temps de se cacher que le terrible Etin entra en
criant:
«
Je sens l'odeur de la chair humaine; vivant ou mort,
cette nuit son
cœur sera étalé sur mon Bannock.»
Le monstre découvrit rapidement le pauvre pauvre jeune homme. Et quand il l'eut fait sortir de son trou, il lui dit que s'il pouvait répondre à trois questions, il aurait la vie sauve.
Voici les trois questions :
La
première question était : Qu'est-ce qui a été habitée la
première, l'Écosse ou l'Irlande?
La
seconde question était: l'homme a-t-il été créé pour la femme ou
la femme pour l'homme?
La
troisième question était: Qui a été créé en premier lieu, les
bêtes ou les hommes?
Bruce ne put répondre à aucune de ces questions. Etin le Rouge le frappa sur la tête avec un maillet et le transforma en un pilier de pierre.
Le lendemain matin, Abhain, le jeune frère avait sorti le couteau pour le faire briller. Mais il trouva son couteau tout rouillé. Alors il dit à sa mère qu'il était désormais temps pour lui d'aller chercher fortune. Sa mère lui demanda de lui rapporter de l'eau du puits afin de pouvoir lui cuire un Bannock. Mais le pot se brisa, et il ne rapporta que très peu d'eau et son Bannock fut tout petit.
Tout comme son frère, Abhain préféra le Bannock tout entier avec la malédiction de sa mère. Il partit donc comme son frère, rencontra les mêmes bergers et fut transformé en pilier de pierre comme son frère aîné.
Cela faisait longtemps que personne n’avait plus de nouvelles des deux frères, et les deux veuves commençaient à se poser des questions. Une fée, de nuit, est venue rendre visite à la deuxième veuve et Aonghas, son fils et leur apprit ce qui était arrivé. Le fils unique de la deuxième veuve se décida à aller à la recherche de ses deux cousins. Sa mère lui demanda également de rapporter de l'eau du puits. Aonghas puisa l’eau dans le puits et pendant qu'il revenait, un corbeau passa sur sa tête en lui criant que son pot était fêlé et que l’eau s’échappait. Comme il était homme de bon sens, il prit de la boue et colmata les fissures. Et c’est ainsi qu'il rapporta assez d'eau pour avoir un grand Bannock. Ensuite il prit seulement la moitié du Bannock, mais avec la bénédiction de sa mère.
Aonghas avait à peine commencé sa route qu’une une vieille mendiante lui demanda un morceau de son Bannock. Sans aucune hésitation il partagea son Bannock avec elle. Pour le remercier, la vieille mendiante lui donna une baguette magique et lui prédit tout ce qui lui arriverait et ce qu'il devrait faire ou dire, puis elle disparut.
Aonghas continua sa route et rencontra le vieillard qui gardait ses moutons. Il lui demanda à qui ils appartenaient et le vieillard répondit:
«
Ils sont la propriété d’Etin le Rouge d'Irlande qui vivait jadis
à Bellygan.
il
a enlevé la fille du roi Malcolm, le roi vertueux de la belle
Écosse.
Il
a chargé de chaînes la pauvre princesse;
Et tous les jours il
la frappe avec une baguette d'argent.
Comme
l’Empereur Julien de Rome, il ne craint personne.
Mais
je crains que sa fin ne soit proche
Et je crois que vous serez
l'héritier de toutes ses terres. »
Quand Aonghas arriva face aux terribles bêtes, il marcha vers elles sans hésiter. La plus grosse d’entre-elles s'approcha la gueule ouverte pour le dévorer, mais il la frappa de sa baguette et elle tomba morte à ses pieds.
Aonghas entra ensuite dans le château d'Etin.
La
vieille femme lui confirma le sort de ses deux cousins. Et malgré
les protestations de cette dernière, il insista pour rester passer
la nuit. Il s’était à peine caché sous un lit que le monstre
arriva en criant :
«
Je sens l'odeur d'un être humain, »
puis il trouva le jeune homme et lui posa les trois mêmes questions qu’aux deux frères. Questions auxquelles il put répondre car la vieille mendiante lui avait soufflé toutes les réponses.
Abasourdi, Etin le Rouge comprit alors que son pouvoir était éteint et que son temps était fini. Aonghas prit une hache et trancha les trois têtes du monstre. Il chercha ensuite la fille du roi et, après avoir monter un grand escalier, il ouvrit un grand nombre de portes et derrière chaque porte il y avait une belle dame emprisonnée par Etin le Rouge.
Finalement, Aonghas trouva la fille du roi. La vieille dame montra ensuite au jeune homme deux piliers de pierre, et dès qu'il les toucha de sa baguette, ses cousins revinrent à la vie. Et toutes les prisonnières, heureuses de leur délivrance, acclamèrent Aonghas.
Le lendemain, Aonghas se rendit chez le roi, qui lui donna sa fille en mariage, et à chacun de ses cousins une fille de noble lignée. Et ils vécurent tous heureux le reste de leurs jours.
Ce conte amusait, dans son enfance, le roi Jacques Ier dit « le captif », dernier fils de Robert III d'Écosse et d’Annabella Drummond, né le 25 juillet 1394 et mort le 21 février 1437.
Le * Bannock est un pain plat, fait avec de la farine sans levain, du saindoux, du sel et de l'eau. Historiquement, le terme est d'abord utilisé en Irlande, puis en Écosse et dans le nord de l'Angleterre.
Le
poète, parolier et fermier écossais, Robert
Burns, né le 25 janvier 1759, évoque le Bannock dans son
poème : Epistle to James Tennant of Glenconner
Abhainn : prénom écossais signifiant « rivière »
Bruce :
prénom écossais signifiant bruyère,
Aonghas : prénom écossais signifiant choix
unique