Erin go bragh !
L’Irlande à jamais
Donegal
Armanel - conteur
Boyle de Boylagh avait une fille unique, la princesse Aileen. La renommée de sa beauté s’était répandue partout, par terre et par mer. La mère d’Aileen étant morte quelques heures avant sa naissance, le roi son père s’occupait de la garde et de l’éducation d’Aileen. De ce fait elle avait reçu une éducation de garçon et de bonne heure on lui avait appris à monter les coursiers les plus rapides de l’Irlande. C’était un spectacle des plus charmant que de voir la princesse Aileen, dans sa robe or et argent, chevauchant son poney richement caparaçonné, ses yeux bleus étincelants de santé et de plaisir, et ses longs cheveux d’un blond cendré flottant au dessus de son manteau richement décoré.
Boyle de Boylagh² était un grand chasseur très fier de ses chiens de chasse. Il y en avait toujours quelques-uns qui accompagnaient Aileen dans ses chevauchées, certains courant à l’avant, les autres à l’arrière comme pour assurer une protection totale à leur maîtresse.
La renommée de la princesse Aileen s’était propagée de plus en plus loin de la cour de son père dans toutes les différentes parties de son pays. Le nom de la princesse Aileen était, aussi, connu dans le reste de l’Europe, à tel point que tous les mois, au moins un riche prétendant venait offrir ses hommages à la belle jeune femme. Chacun de ces prétendants chantait les louanges de son pays, de sa famille princière et les hauts faits de valeur qu’il avait accomplis. Mais la princesse Aileen ne les écoutait pas.
Le jour de la Saint-Patrick (jour de fête en l’honneur du grand libérateur d’Erin),un ménestrel itinérant de race celtique s’est présenté à la cour de Boyle de Boylagh.
Ce jour-là de beaux chevaliers et belles dames de tous pays étaient accourus auprès de la princesse Aileen pour lui rendre hommage, car c’était le jour de son anniversaire. Le ménestrel itinérant a demandé la permission d’accorder sa harpe et de faire entendre un chant de son pays en présence de la princesse et de ses hôtes. Boyle de Boylagh n’a pas pris la peine d’écouter la demande de ce rustre mal peigné qui avait l’audace de se joindre à l’assemblée joyeuse et d’entrer en lice avec des maîtres en poésie, tels que ceux qui avaient chanté avant lui. Mais la princesse Aileen est intervenue :
_ « Les ménestrels étrangers venus de toute l’Europe ont le droit de chanter mes louanges. Et ce fils d’Erin ne pourrait pas faire entendre les accords de sa harpe ? Que ce barde celtique soit le dernier à me rende honneur ».
Et Aileen a appelé le ménestrel d’Erin qui, ployant le genou avec toute la grâce d’un prince devant cette reine de beauté, lui a chanté ce poème :
« Pourquoi quitterais-tu le beau pays d’Érin ?
Pourquoi quitterais-tu ton vallon verdoyant,
Parsemé de tous ces boutons d’or éclatants
Qui n’ont de sourire que pour toi Aileen?
« Pourquoi quitterais-tu les ruisseaux gazouillants
Qui, les premiers, t’ont appris à chanter ?
Le bruit assourdissant des fleuves étrangers
Fera à tout jamais gémir ton cœur languissant. »
« Pourquoi quitterais-tu la tombe de ta mère
En la confiant aux mains de jardiniers ?
Tu ne peux l’apporter avec toi par delà les mers.
Ah ! comme elle est dure la loi de l’étranger ! »
« Pourquoi quitterais-tu les princes d’Érin,
Qui ne jurent que par tes qualités
Et se suspendent à tes lèvres purpurines,
Pour des étrangers qui n’en veulent qu’à ta beauté ? »
« La beauté meurt, tout squelette en est le signe.
L’amour seul est appelé à durer.
Écoute bien le ménestrel d’Erin
Qui vient te prévenir avant de te quitter... »
A la fin de ce poème les yeux de la princesse Aileen étaient remplis de larmes et la tristesse remplissait son âme.
Ses yeux et ceux du ménestrel se sont rencontrés et l’un et l’autre se sont révélé les profondeurs de leur âme.
Boyle de Boylagh était irrité contre ce ménestrel qui avait osé jeter une note triste en ce jour de fête et a ordonné qu’il soit immédiatement chassé de la cour.
A partir ce jour, la princesse se languissait, triste et morose. Les plaisirs de la chasse et de la compagnie qui l’entourait ne lui disaient plus rien. Boyle de Boylagh s’en est aperçu et croyant que sa fille aimait Bolivar, un brave chevalier espagnol, il a voulu mettre un terme à ses chagrins et a décidé de les marier. On a commencé à faire de grands préparatifs pour l’évènement à venir, mais la princesse Aileen regardait tout cela avec la plus profonde indifférence.
Un soir, pour essayer de la dérider, sa vieille nourrice lui a fait le récit détaillé du monde des Fées et de leurs danses éthérées. La nuit même, aux environs de minuit, la princesse Aileen, accompagnée de sa fidèle dame de compagnie, a quitté le château de son père pour vérifier si les dires fantastiques de sa nourrice étaient vrais.
À la pointe du jour, elle s’est assise sous un arbre touffu pour pleurer sur son mariage à venir. Tout à coup elle a entendu les sons d’une musique féerique et une multitude de petits hommes et de petites femmes vêtus de rouge et de vert se sont levés au milieu de l’herbe verte et se sont mis à danser en chantant une ronde joyeuse.
La princesse Aileen, a été tellement effrayée qu’elle ordonné à sa dame de compagnie de retourner avec elle au château. Mais le Roi des Fées, qui lisait dans ses pensées, a ordonné à ses chevaliers et ses dames de se joindre les mains afin de former un cercle autour de l’arbre sous lequel reposaient Aileen et sa servante, rendant impossible toute tentative d’évasion. Après quoi, le Roi des fées s’est avancé vers la princesse en chantant :
_ « Quand l’amour est absent, le mariage est désespéré :
Épouse-moi et à ton tour tu deviendras une fée . »
La dame de compagnie a fait le signe de croix pendant que le roi des fées chantait. Mais la princesse Aileen, envoûtée par le chant, avait oublié de le faire. Et quand le Roi l’a touchée du bout de sa baguette magique. la princesse a disparu dans un nuage blanchâtre tandis que retentissait un grand bruit de voix et de rires perlés, accompagnés du son de trompettes.
C’était le matin ; les ténèbres descendaient petit à petit du ciel gris d’Irlande. Perchée sur les genêts dorés, la grive rechantait à sa compagne la chanson première qui lui avait gagné son cœur ; le merle à bec jaune avait accordé sa flûte d’artiste tandis que plus haut encore, l’alouette jetait dans l’espace sa prière matinale.
Tout à coup, la bonne s’est réveillée en sursaut ;
_ Où est ma jeune maîtresse ? Était-ce un rêve ? Plût au ciel que cela fût ainsi !
Mais, en vérité, la princesse Aileen s’en était allée pour toujours vers le pays des fées.
Avec une malédiction sur les lèvres pour le chevalier espagnol et un soupir à l’adresse du ménestrel errant, la dame de compagnie s’est levée à la hâte pour aller donner l’alarme au château. C’est alors qu’une voix de femme a murmuré dans son oreille :
_ « Ecoutes-moi ! Je suis la reine des fées. Le roi, mon mari, en aime une autre, et il a jeté un sort à la princesse Aileen. Le charme peut être rompu le jour de la Saint-Patrick quand la princesse traversera le Barnes Gap. Le roi lui-même sera son coursier. Celui qui pourra tenir les rênes et faire couler quelques gouttes de sang, rompra le charme magique et obtiendra la main de la belle et noble Aileen. »
Quand Boyle de Boylagh a appris ce qui était arrivé à Aileen, il a envoyé des messagers dans toutes les parties du pays pour proclamer la nouvelle que le chevalier qui pourrait rompre le charme fatal, aurait la main de sa fille. Plus de mille chevaliers ont répondu à cet appel et dès l’aube de la Saint-Patrick, la vallée était remplie de gentilshommes suivis de nobles dames qui les poussaient de l’avant.
Se détachant des rangs et le dernier de tous, le prince Boyle de Boylagh était décidé à ramener sa fille ou à mourir.
À la pointe du jour, lorsque le son du cor s’est fait entendre, les chevaux se sont cabrés et les cavaliers se sont penchés en avant, préparés pour le combat qui devait leur permettre de gagner une princesse. Bientôt on a vu venir un coursier tout blanc filant plus vite que le vent, vomissant le feu par les narines et hennissant des sons plus aigus que ceux des tempêtes dans les grand bois de sapins. Sur son dos, on voyait la princesse Aileen qui, les bras étendus, implorait sa délivrance.
Les chevaliers se sont élancés les uns après les autres, mais en vain. Chevalier après chevalier, ils furent désarçonnés.
C’est alors qu’un jeune homme a couru au-devant du cheval enchanté, s’est jeté en face et empoignant son cou d’une main, a introduit son poignard dans la chair frémissante.Il y a eut un cri sauvage, puis un nuage de fumée, et le cheval blanc, avec ses narines vomissant le feu, a disparu. La princesse Aileen était dans les bras du prince Roderich O’Donnel, le ménestrel errant, celui qui avait chanté : « Pourquoi quitterais-tu le beau pays de l’Irlande pour t’en aller errer au loin... »