Elidyr 
et le pays des fées

Armanel-conteur

Il y a beaucoup d’ endroits au Pays de Galles où le sol est bosselé et semé de tumulus, ou de petits monticules artificiels. Les moutons paissent, les ânes braient et les vaches ruminent paisiblement parmi ceux-ci.

Le sol est jonché de ruines de cromlechs, de forteresses galloises, d'anciens camps romains, de chapelles et de monastères, ce qui nous prouve que de nombreuses races différentes d'hommes sont venues et reparties.

Il y a des siècles, les moines de Saint-David (Tafy) avaient une école où les garçons apprenaient le latin et les bonnes manières. L'un de ces élèves était un garçon nommé *Elidyr. C'était un élève si mauvais, qui détestait tellement les livres et aimait tellement jouer, que les fessées et les coups de fouet étaient presque quotidiens pour lui. Malgré ces châtiments, il ne progressait pas. Il avait l'habitude de « voyager à Bagdad »(faire l'école buissonnière), et l'une des conséquences de ces escapades était que certaines parties molles de son corps, situées au bas de son dos et apparemment prévues à cet effet par dame nature, recevaient souvent un réchauffement de la part de son père.

Sa mère aimait beaucoup son fils, et elle le réprimandait souvent gentiment, mais il ne l'écoutait pas, et lorsqu'elle lui demandait d'être plus attentif en classe, il s'enfuyait de la pièce.

Un jour, alors qu'il n'avait que douze ans, Elidyr a décidé de courir dans la campagne. Et plus il avançait, plus il se sentait heureux - du moins pendant une journée.

La nuit, épuisé, il s’est glissé dans une grotte. Le lendemain en se réveillant Elidyr était tout heureux d'être aussi libre que les ânes sauvages. Alors, comme eux, il est allé boire au ruisseau. Mais vers midi, n’ayant rien trouvé à manger sa faim augmenta de minute en minute. Elidyr s’est dit qu'un petit gâteau d'avoine, un poireau ou un bol de flocons d'avoine, que ce soit du porridge ou du Flummery seraient les bienvenus

Elidyr n'osa pas s’éloigner pour aller cueillir des baies, car il s’est aperçu que des gens étaient à sa recherche et il n'avait pas envie de retourner aux livres et aux réprimandes. Mais, tenaillé par la faim, la journée lui semblait plus longue qu'une semaine toute entière. Il n’a été heureux que lorsque le soleil s’est couché et que l'obscurité est arrivée. Et pourtant son lit n'était pas moelleux dans la grotte, alors qu'il s'allongeait avec une pierre en guise d'oreiller.

Le lendemain, à son réveil, Elidyr ne savait toujours pas s'il devait rester et mourir de faim, ou rentrer chez lui et recevoir deux fessées - un de son père, et un autre des professeurs. Mais il y avait cette chose à l'intérieur de lui, qui semblait être une créature vivante qui rongeait, et que seule quelque chose à manger pourrait calmer ? Finalement, Elidyr a pris sa décision. Rentrer, quitte à recevoir deux coups de fouet, plutôt que mourir de faim.

Mais il n'avait pas eu besoin de rentrer chez lui, car à l'entrée de la grotte, il a rencontré deux elfes qui lui ont souhaité la bienvenue en lui disant.

_ "Viens avec nous. Nous habitons dans un pays plein de plaisir, de jeux et de bonnes choses à manger."

Tout d'un coup, sa faim l’a quitté et l’envie de rentrer chez lui, en risquant d'être battu, a disparu également.

Ils s'ont donc partis tous les trois dans un passage sombre, et sont rapidement arrivés dans un beau pays. Tout autour, on pouvait entendre les cris joyeux des petites personnes en train de jouer. Jamais les choses n'avaient paru aussi belles à Elidyr.

Bientôt, ils sont arrivés devant un palais merveilleux qui avait une porte splendide et des tours aux sommets argentés qui semblaient toucher le ciel bleu.

_ "Quel est ce bâtiment ?" a demandé Elidyr à ses deux guides.

Ils lui ont dit que c'était le palais du roi du pays des fées et ils l’ont conduit dans la salle du trône, où était assis un roi majestueux sur un trône doré Il était entouré de courtisans aux riches vêtements, et tout autour de lui il y avait plus de richesses qu’ Elidyr, n'en avait jamais vu ou rêvé.


Mais si tout était beau, tout était si petit que cela ressemblait au Pays des Jouets, et Elidyr se sentait comme un géant parmi eux, même si beaucoup des petits hommes autour de lui étaient assez vieux pour avoir des moustaches sur les joues et des barbes sur le menton.

Le roi a parlé gentiment à Elidyr, lui demandant qui il était et d'où il venait.

Pendant qu'il parlait ainsi, le prince, le fils unique du roi, est apparu. Il était vêtu de velours blanc et d'or, et avait une longue plume sur son bonnet. De la manière la plus agréable, il a pris la main d'Elidyr et lui a dit :

"Je suis heureux de te voir. Viens et jouons ensemble."

C'était exactement ce qu'Elidyr aimait entendre. Le roi a souri et a dit à son visiteur :

_"Vas jouer avec mon fils ?"

Puis, d'un geste de la main, il a fait signe aux deux garçons de sortir et de jouer.

Ils ont passé un bon moment, car il y avait beaucoup d'autres petits individus pour jouer avec eux.

Ces petits êtres avec qui jouait Elidyr n'étaient pas aussi grands que nos bébés et n'atteignaient certainement pas les genoux de sa mère. (Pour eux, il devait ressembler à un géant) et il avait beaucoup de plaisir à jouer avec ces petits hommes qui avaient de la barbe qui leur poussait sur le visage.

Ils jouaient avec des balles d'or et montaient de petits chevaux avec des selles et des brides d'argent, mais ces jolis animaux n'étaient pas plus gros que des petits chiens ou des lévriers.

Il n'y avait pas de viande sur la table, mais toujours beaucoup de lait. Ils ne mentaient jamais, ne disaient pas de gros mots ni de jurons. Ils parlaient souvent des êtres humains, mais généralement pour s’en moquer, car ce que nous aimons faire leur semblait absurde et ils disaient que nous voulons toujours des choses stupides et inutiles. Les elfes disaient que les êtres humains n'étaient jamais satisfaits, ni heureux longtemps, même lorsqu'ils obtenaient tout ce qu'ils voulaient.


Tout était beau dans cette partie du pays des fées, à part que le ciel était toujours nuageux. On ne voyait jamais le soleil, ni les étoiles, ni la lune. Les petits hommes ne semblaient pas s'en soucier et s'amusaient tous les jours. Il n'y avait pas de fin à leurs jeux, et cela convenait bien à Elidyr.

Mais peu à peu, Elidyr s’est lassé des jeux, et il a eu le mal du pays. Il voulait voir sa mère. Il a donc demandé au roi de le laisser visiter son ancienne maison Il a promit de revenir au bout de quelques heures. Sa Majesté lui a donné sa permission, mais lui a ordonné de ne rien emporter du pays des fées avec lui , et de n'emporter que les vêtements qu'il portait sur le dos quand il est arrivé.

Les mêmes elfes qui l'avaient amené au pays des fées ont été choisis pour le reconduire. Lorsqu'ils sont arrivés au passage souterrain ils l’ont rendu invisible jusqu'à ce qu'il arrive à la maison de sa mère afin que personne ne puisse le voir et deviner par où il était passé. Sa mère fut heureuse de voir qu'aucun loup ne l'avait mis en pièces, ni qu'aucun sanglier ne l'avait poussé dans un précipice.

Elle lui posa beaucoup de questions et il lui raconta tout ce qu'il avait vu.

Quand Elidyr s’est levé pour repartir, elle lui a demandé de rester un peu plus longtemps, mais il dit qu'il devait tenir sa parole. De plus, il craignait la correction des moines ou de son père s'il restait plus longtemps. Et avant de s’en aller il a fait promettre à sa mère de ne rien dire, même pas à son père, de tout ce qu’il lui avait raconté. Puis il est parti et a retrouvé ses camarades de jeu au pays des fées.

Le roi était si content qu’ Elidyr soit revenu à l’heure qu'il lui a permis d'aller voir sa mère aussi souvent qu'il le voulait. Il a même dit aux deux petits hommes qui le surveillaient constamment de laisser le garçon partir seul, et quand il le voudrait, car il tenait toujours parole.

Elidyr a rendu visite à sa mère à de nombreuses reprises . Il restait invisible tout le temps, jusqu'à ce qu'il arrive dans sa chaumière et il s'enfuyait quand il pensait que son père ou l'un des moines allait arriver.


Un jour, en racontant à sa mère les bons moments qu'il avait passés au pays des fées, Elidyr a parlé des lourdes boules jaunes avec lesquelles lui et les fils du roi jouaient et de toutes les autres qui roulaient tout autour.

Avant de quitter sa maison, Elidyr n'avait jamais vu d'or et ne savait pas ce que c'était, mais sa mère avait deviné ce que c’était. Elle lui a donc demandé de lui en rapporter une.

Je n’ai pas le droit, se disait Elidyr, mais ses parents étaient pauvres et sa mère lui avait dit que si rien qu’une boule manquait parmi les centaines de boules du palais du roi, personne ne le remarquerait,. Il a donc décidé de lui faire plaisir.

Aussi, un jour, croyant que personne ne le regardait, il a ramassé une des boules jaunes et s’est dirigé vers la maison de ses parents par l'étroit passage sombre.

Mais à peine de retour sur terre et au soleil, il a entendu des pas derrière lui, et il a su qu'il avait été vu quand il avait volé la boule.

Elidyr a jeté un coup d’œil par-dessus son épaule et a vu les deux petits hommes qui avaient été ses gardes qui lui lançaient un regard noir. Puis ils se sont précipités à sa poursuite .

Comme Elidyr avait des jambes deux fois plus longues que les petits hommes, il est arrivé le premier à la porte de la chaumière. Il se croyait en sécurité, mais en poussant la porte, il trébucha sur le seuil et la balle a roulé sur le sol et s’est arrêtée aux pieds de sa mère, dont les yeux se sont écarquillés à la vue de la balle d’or brillant.

Alors qu’il gisait sur le sol, et avant qu’il ait pu se relever, l’un des petits hommes a sauté par-dessus lui, s’est précipité dans la pièce et a ramassé la balle qui avait roulé dessous les jupons de sa mère.


Ils ont craché sur Elidyr en le traitant de: « traître », « coquin », « voleur », « faux mortel », « renard », « rat », « loup » et autres noms infâmes. Puis ils se sont enfuis.

Elidyr, bien qu'il ait été un garçon malicieux, avait toujours aimé la vérité. Il était très triste et misérable, parce par amour pour sa mère, il avait manqué à sa parole d'honneur. Alors, fou de chagrin et de honte, il est retourné chercher la grotte dans laquelle il avait dormi. Il retournerait voir le roi des fées et lui demanderait pardon, même si Sa Majesté ne lui permettait plus jamais de visiter le Pays des Fées.

Mais il n’est jamais arrivé à retrouver la grotte.

Alors, pleinement repenti et résolu à obéir à son père, il est retourné au monastère pour étudier.

Il a tellement travaillé qu'il est devenu l'un des savants les plus célèbres du Pays de Galles. À sa mort, il a demandé à être enterré avec son père et sa mère, dans le cimetière de l'église. Il a aussi demandé qu'aucun nom ne soit gravé sur sa tombe, mais seulement ces mots :

NOUS NE POUVONS RIEN FAIRE CONTRE LA VÉRITÉ,

MAIS NOUS DEVONS TOUT FAIRE POUR LA VÉRITÉ.



*Elidyr : Personnage d'un conte populaire très célèbre, rapporté par Giraldus Cambrensis dans son Itinerarium Cambriae [Voyage à travers le Pays de Galles] (1188). 
L'histoire est racontée par un prêtre, Elidurus, qui prétend se souvenir de son enfance lorsqu'il était connu sous son nom gallois, Elidyr. Alors qu'il faisait l'école buissonnière à l'âge de 12 ans, il se cacha sous la berge d'une rivière où il rencontra deux petits hommes qui lui promirent de le conduire dans un pays de délices et de sports. Il fut en effet très heureux de ce qu'il trouva : un pays de petits hommes et de petites femmes parfaitement formés, aux longs cheveux blonds jusqu'aux épaules, qui ne mangeaient ni poisson ni volaille et se nourrissaient exclusivement de lait au safran. Ils ne prêtaient aucun serment et détestaient le mensonge. Ils ne pratiquaient pas non plus de religion, aimant simplement la vérité par eux-mêmes. Mais ils exécraient l'ambition mortelle, l'infidélité et l'incohérence. Au bout d'un moment, Elidyr rentra chez lui, où sa mère l'encouragea à retourner dans ce pays délicieux pour lui rapporter de l'or ou des bijoux. Il obéit à ses ordres et vola une magnifique boule d'or, mais à son retour chez lui, il la laissa tomber accidentellement ; elle fut récupérée par les habitants du pays merveilleux qui crachèrent sur lui pour son vol. Elidyr était en colère contre la cupidité de sa mère, mais il ne put plus jamais retrouver l'entrée du pays des fées, malgré tous ses efforts. En récitant l'histoire à Dewi II, l'évêque de Saint-David, Elidyr dit qu'il se souvenait que la langue du pays des fées était similaire au grec ; cela poussa Giraldus à éditer un éditorial sur le fait que les anciens Bretons avaient fui Troie. À la fin, Elidyr versa encore des larmes à cause de la perte de ce pays merveilleux.