Conn et Martain
Irlande Galway
Armanel _ conteur
Chaque
année pour la Saint Patrick, Conn tuait un bœuf ou un mouton.
C’était sa façon de fêter l’évènement. Lorsque Conn perdit
sa première femme, avec qui il avait eu un fils (Martain) il se
remaria. Or, si sa première femme n’avait jamais refusé de voir
Conn tuer le bœuf et de le cuisiner pour toute la tablée, la femme
qu’il avait épousée en secondes noces ne voulut jamais accepter
de le voir tuer le bœuf. Ils se disputaient régulièrement tous les
deux à ce sujet. Cette année-là, Conn conduisit le bœuf dans la
maison et le tua malgré le refus de sa deuxième femme. Quand le
bœuf fut mort, sa femme en colère dit :
_« Que le
diable étrangle la première personne qui en mangera un morceau.»
On
écorcha le bœuf, et on en fit un pot-au-feu, pour la Saint Patrick.
De mauvaise grâce la deuxième femme de Conn s’occupa du
pot-au-feu tout le temps qu’il mit à cuire. Quand il fut cuit,
elle souleva le couvercle de la marmite et la première chose qu’elle
fit fut de plonger la louche dans le pot-au-feu, de retirer un
morceau de viande et de le mettre dans sa bouche pour le goûter. Le
morceau l’étrangla. Comme elle se tenait à l’écart des hommes
près de la cheminée, la compagnie attablée ne se rendit pas compte
tout de suite qu’elle était étranglée. Au bout d’un moment,
ils trouvèrent qu’elle était bien silencieuse; Ils se
retournèrent pour voir à quoi elle était occupée et ils la virent
allongée sur le sol sans connaissance.
Martain, le fils de
Conn, s’écria :
_ «La malheureuse. Voilà son souhait accompli: Que la première personne qui mange un morceau du bœuf soit étranglée.»
L’histoire se répandit en ville qu’elle était morte (selon ses souhaits) et les gens vinrent se recueillir à la maison de Conn. Le soir même on fit la veillée mortuaire et le lendemain on la porta en terre. Après l’enterrement, Martain et Conn revinrent chez eux. Le soir venu, ils se mirent à souper. Quand ils eurent fini de souper, ils décidèrent d’aller se coucher. Conn monta le premier dans sa chambre pendant que Martain nettoyait la table.
Pendant que Martain nettoyait la table, la morte frappa à la porte et demanda qu’on la laissât entrer.
_ «C’est ta seconde femme, celle que nous avons porté au cimetière,» dit le fils, «je reconnais sa voix et j’ai peur.»
_ « Si c’est elle, ne la laisse pas entrer,» répondit le père.
_ « Elle entrerait malgré moi,» dit le fils.
Martain se leva donc et la fit entrer, mais à cause de l’angoisse et de la terreur qu’elle lui causait, il se cacha derrière la porte quand il l’ouvrit, et il la vit monter directement dans la chambre de son père et le tuer. Quand le fils entendit les cris que poussait son père, il s’enfuit et alla se cacher dans la cabane où dormaient les chèvres et le bouc. Quand elle eut tué le père, la femme descendit à la recherche du fils pour le tuer aussi, et elle arriva à la porte de la cabane aux chèvres, là où était entré Martain. Mais quand elle voulut entrer, le bouc se mit devant elle, la frappa d’un coup de cornes et la mit dehors. Elle revint pour entrer et le bouc se mit en travers de la porte pour lui barrer le chemin, et chaque fois qu’elle faisait une tentative pour entrer, le bouc la frappait de ses cornes pour la chasser de nouveau. Ce petit manège dura jusqu’à deux heures du matin, et comme elle n’arrivait pas à entrer, elle décida de s’en aller et Martain fut sauvé pour cette nuit-là.
Au
petit matin, Martain décida de s’enfuir, – pour qu’elle ne le
trouvât pas – et il passa le jour à errer jusqu’à la nuit.
Quand la nuit tomba, il entra dans la cour d’un fermier et lui
demanda un gîte jusqu’au matin. Il avait fini de souper et décida
d’aller coucher, quand celle qui était à sa poursuite arriva à
la porte et qu’elle se mit à la cogner en demandant qu’on la
laisse entrer.
_«Va dehors,» dit le maître de la maison à
son fils, « et regarde qui est à la porte.»
Le
garçon alla dehors et la femme le tua.
_ «Va dehors,» dit-il
à sa fille, « et regarde qui c’est qui est à la porte.»
La fille alla dehors et la femme la tua.
_«Ne laisse plus personne sortir, » dit Martain «je sais qui est là. C’est une âme en peine qui est à ma poursuite et elle tue tous ceux qui se mettent sur son chemin.»
Une grande frayeur s’empara de toutes les personnes qui étaient dans la maison quand elles entendirent cela, tandis qu’à l’extérieur toutes sortes de coups résonnaient contre la porte.
Alors le fermier lâcha une paire de chiens féroces à la poursuite de la femme; les gens de la maison écoutèrent le combat qui dura toute la nuit. Au matin, dès l’aube, on les trouva, elle et les deux chiens, morts devant la porte.
Martain eut alors grande honte du mal qu’il avait fait à cette famille: la fille et le garçon étaient morts à cause de lui. Il quitta la maison du fermier pour retourner chez lui. En chemin il rencontra une femme qui lui demanda où il allait. Martain lui raconta qu’il retournait chez lui et qu’il avait le cœur lourd parce qu’il y avait un garçon et une fille qui étaient morts à cause de lui. La femme lui donna une bouteille en lui disant de retourner sur ses pas et de verser dans la bouche de chacune des deux personnes qui avaient été tuées une goutte de ce qui était dans la bouteille et qu’il était possible que cela leur fît du bien. Martain retourna donc à la maison du fermier et il versa une goutte du breuvage dans la bouche de la fille qui se leva immédiatement. Il fit alors la même chose au garçon.
Puis il quitta le fermier et il retourna chez lui dans la maison de son père. Il enterra son père et continua à vivre dans cette maison où il ne lui arriva aucun mal ni aucun dommage depuis lors.