BRANWEN LA FILLE DE LLYR  
Voici la  DEUXIÈME PARTIE DU MABINOGI

Traduction (et adaptation): Armanel - conteur 


1 _ Le mariage de Branwen

BENDIGEID VRAN, fils de Llyr, était le Haut-Roi de toute l’île de Bretagne, dignité suprême confirmée par le port de la couronne de Londres. 

Une après-midi, Bendigeid Vran  tenait sa cour à Harlech, près d’Ardudwy au Pays de Galles. Assis sur le rocher de Harlech, il observait la mer. Autour de lui se trouvaient son frère Manawyddan, fils de Llyr, ses demi-frères du côté de sa mère, Nissyen et Evnissyen, et de nombreux nobles, comme il sied à un roi d’être entouré. Ses deux demi-frères étaient les fils d'Eurosswydd et de sa mère, Penardun, fille de Beli, fils de Manogan. L'un de ces jeunes hommes, Nissyen, était un homme bon et de nature douce, qui maintenait la paix dans sa parenté, et réconciliait les membres de sa famille quand leurs colères les divisaient. L'autre, Evnissyen, provoquait des conflits entre ses deux frères même lorsqu'ils étaient parfaitement en paix. 

Alors qu’ils étaient assis, ils virent se diriger vers eux treize navires venant du sud de L'Irlande. Les navires fendaient les flots à vive allure car le vent les poussait, et ils s’approchaient rapidement. 

_ « Je vois des navires au loin », déclara le roi, « Ils viennent rapidement vers la terre. Commandez aux hommes de la garde de s'équiper et d’aller voir quelles sont leurs intentions. »

Les hommes se sont donc équipés et sont descendus vers la grève. Quand ils ont vu les navires de près, ils déclarèrent qu'ils n'avaient jamais vu de navires mieux armés et mieux équipés. De beaux étendards de satin flottaient au sommet des mâts. C’est alors que l'un des navires s’est détaché de la flotte, et ils ont vu un bouclier s’élever au-dessus du flanc du navire, pointe vers le haut, en signe de paix. Rassurés, les hommes de la garde s'approchèrent du rivage pour parlementer. Les étrangers mirent des canots à la mer, se sont dirigés vers la terre, et sont allés saluer le roi. Le roi pouvait les entendre sans descendre du rocher où il était assis et d’où il dominait leurs têtes.

 _ « Le ciel vous protège », dit Bendigeid Vran, « soyez les bienvenus. À qui appartiennent ces navires, et qui est votre chef ? »

_ « Seigneur », répondirent-ils, « Matholwch, roi d'Irlande, est à la tête de notre flotte, et ces navires lui appartiennent. » 

_ «Pourquoi vient-il donc ici? » demanda Bendigeid Vran, « désire-t-il descendre à terre? »

_ « Il vient se mettre à votre service, seigneur, » répondirent-ils, « mais il ne débarquera que s’il obtient la récompense qu’il espère. »

_ « Quelles sont ses prétentions? » s’enquit le roi.

 _«Seigneur», répondirent-ils, «en échange de son alliance il demande la main de Branwen, fille de Llyr, si vous y consentez. Ainsi l'île de votre seigneurie serait liée à l'Irlande, et toutes les deux gagneraient en puissance. »

_ «  Eh bien, » dit Bendigeid Vran, « qu'il vienne accoster, et nous tiendrons conseil à ce sujet ».

L’invitation de Bendigeid Vran a été transmise à Matholwch.

_ «  Je descends à terre avec grand plaisir», répondit Matholwch.

Matholwch accosta et fût reçu avec joie; et grande était la foule dans le palais cette nuit-là, en comptant ses hommes et ceux de la Cour de Bendigeid Vran. Le lendemain les hommes de la cour tinrent conseil, et décidèrent d'accorder la main de Branwen à Matholwch. C’était l'une des trois premières dames de cette île, et elle était la plus belle demoiselle du monde. Il a aussi été décidé que c’est à Aberffraw (Sud-Ouest du Pays de Galles) qu’elle deviendrait officiellement son épouse. 

Tout le monde se dirigea donc vers Aberffraw; Matholwch et son armée sur leurs navires; Bendigeid Vran et la sienne par voie terrestre. Une fois arrivés à Aberffraw, ils se sont installés et les festivités ont commencé. Et voici comment ils s’installèrent: Le roi de l'île des Puissants et Manawyddan, fils de Llyr, d'un côté, et Matholwch de l'autre côté, avec Branwen, fille de Llyr, près de lui. Ils n'étaient pas installés dans une maison, mais sous des tentes. Bendigeid Vran n’aurait jamais supporté de vivre dans une maison. Le banquet a commencé, ils ont dansé et ont palabré. Et quand ils furent fatigués de danser, ils partirent se reposer, et cette nuit-là Branwen devint la femme de Matholwch.

Le lendemain, ils se levèrent, et les officiers commencèrent à équiper et à aligner chevaux et domestiques, et les rangs qu’ils formaient s’étendaient jusqu'à la mer distante d’un kilomètre. 

2 _ Première intervention d’Evnissyen

Mais, un jour, Evnissyen, l'homme querelleur dont je vous ai parlé plus haut, passa par hasard dans le pré où paissaient les chevaux de Matholwch, et a demandé à qui ils appartenaient. 

_  « Ce sont les chevaux de Matholwch, roi d'Irlande, qui est marié à Branwen, ta sœur; ce sont ses chevaux. » 

_ « Et qui a permis de lui accorder ma sœur, jeune fille de haut rang, sans mon consentement? En faisant cela ils m’ont insulté de la pire façon », dit Evnissyen. 

Et là-dessus, Evnissyen se précipita sur les chevaux et leur coupa les lèvres au ras des mâchoires, leurs oreilles au ras de la tête, leurs queues au ras de leur dos, et chaque fois qu’il pouvait saisir leurs paupières, Evnissyen les coupait jusqu'aux os. Il a ainsi défiguré tous les chevaux irlandais et les a rendus inutilisables.

Des hommes sont allés prévenir Matholwch que ses chevaux étaient défigurés et si blessés qu'aucun d'eux ne pourrait plus jamais être d'aucune utilité. 

_  « Crois-moi, seigneur, » dit l'un des hommes, « ils ont cherché à t’humilier, et de la pire façon qui soit. » 

_ « Tout cela me parait bien étrange, » répondit Matholwch, « s'ils avaient voulu m'insulter, pourquoi m’avoir accordé la main d’une jeune fille de si haut rang et si aimée de sa parenté, comme ils l'ont fait. »

_ « Seigneur », dit un autre homme, « ne sois pas aveugle, tu n'as pas d’autre choix que de retourner sur tes navires. » 

Soucieux, Matholwch se dirigea vers ses navires.

Quand Bendigeid Vran apprit que Matholwch quittait la Cour sans le saluer, il lui envoya Iddic, fils d'Anarawd, et Heveydd Hir comme messagers afin de lui demander de s’expliquer. 

_ «  Sachez », répondit Matholwch, «  que si j'avais su d’avance ce qui s’est passé, je ne serais pas venu ici. J'ai été tout simplement insulté ; personne n'a jamais subi pire outrage que l’humiliation que j'ai reçue ici. Mais il y une chose me surprend plus que tout. »

_  « Qu'est-ce donc? » Lui ont demandé Iddic et Heveydd Hir.

_ « Que Branwen, fille de Llyr, l'une des trois premières dames de cette île, et fille du roi de l'île des Puissants, m'a été donnée comme épouse, et qu'ensuite on soit venu m’insulter. Pourquoi l'insulte ne m'a-t-elle pas été faite avant de m’accorder une jeune fille de sa position et de son rang ? »

_ « Sois assuré, seigneur, que ce n'était la volonté d'aucun qui soit de la Cour », répondirent Iddic et Heveydd Hir, « ni de quiconque au conseil, de t’insulter. Et saches que si tu as été insulté, le déshonneur est bien plus grand pour Bendigeid Vran que pour toi. « 

_ « Je pense que vous êtes sincères et que vous dîtes vrai » répondit Matholwch. « Néanmoins, je ne peux pas ignorer l'insulte faite. » 

Iddic et Heveydd Hir sont revenus auprès Bendigeid Vran, et ils lui ont rapporté la réponse que Matholwch leur avait donnée.

_ « C’est vraiment ennuyeux, » dit Bendigeid Vran, «  nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher de partir fâché. »

_ « Eh bien, seigneur, » lui dirent les hommes du conseil, « Il faut envoyer auprès de lui une autre ambassade. » 

_ « Vous avez raison, » répondit Bendigeid Vran. « Levez-vous, Manawyddan, fils de Llyr, et Heveydd Hir, et Unic Glew Ysgwyd. Allez à la rencontre de Matholwch , et dites-lui que je lui donnerai un cheval sain pour chaque cheval mutilé. De plus, en guise d'expiation pour l'insulte il recevra un sceptre en argent, aussi grand et aussi haut que lui, et un plat en or de la largeur de son visage. Puis désignez-lui celui qui a commis cet outrage, et insistez bien sur le fait que ce fut contre ma volonté; mais dites lui aussi que le coupable est de ma famille, du côté de ma mère, et qu’il est donc difficile pour moi de lui ôter la vie ». 

_ « Et qu'il vienne me rencontrer », a-t-il ajouté, « et nous ferons la paix selon ses volontés ».

L'ambassade a rattrapé Matholwch et lui a rapporté le message de paix de Bendigeid Vran d'une voix douce et sur un ton amical, et Matholwch les a écoutés. 

_ « Vos paroles me touchent » dit-il, « je vais tenir conseil. » 

Matholwch a tenu conseil. Et les membres de son conseil considéraient que s'il refusait, c’est sur lui que retomberait la honte d’avoir refusé une si grande expiation. Matholwch a donc décidé d’accepter la proposition de Bendigeid Vran et est retourné à la Cour, l’âme en paix. 

Alors les pavillons et les tentes ont été alignés afin de faire une grande salle de réception; et le banquet reprit, chacun s'étant assis comme au début de la fête. Matholwch et Bendigeid Vran ont discuté et parlementé, mais il semblait à Bendigeid Vran que Matholwch n'était pas aussi joyeux qu’auparavant. Et Bendigeid Vran se disait que Matholwch trouvait l'expiation insuffisante pour le tort qui lui avait été fait. 

_ « Seigneur, » dit Bendigeid Vran, « tu ne me parais pas aussi joyeux ce soir que tu l’étais auparavant. Si c'est parce que l'expiation te semble insuffisante, ajoutes-y ce que tu désires, de plus, te donnerai les chevaux promis dès demain. » 

_  « Seigneur », dit Matholwch, « le ciel te récompensera de cela.» 

_ « Et je vais devancer tes désirs en améliorant mon offre, » dit Bendigeid Vran. « Je vais te donner un chaudron aux vertus puissantes ; Si un de tes hommes venait à être tué, il te suffirait de le jeter dans ce chaudron pour que, dès le lendemain, il revienne à la vie comme si rien ne s’était passé, à l’exception près qu’il serait muet. »

Là-dessus, Matholwch remercia chaleureusement Bendigeid Vran et retrouva sa gaieté perdue.

Le lendemain matin, les chevaux Matholwch ont été remplacé par les chevaux bien dressés qui se trouvaient dans ce pré ainsi qu’avec des poulains qui se trouvaient dans un autre pré jusqu'à ce que le tout ait été payé, et à partir de ce jour cette prairie s'appelle Talebolion.

3 _ Le chaudron magique

La nuit suivante, Matholwch et Bendigeid Vran s'assirent côte à côte. 

_ « Mon seigneur, » demanda Matholwch, « d'où tiens-tu le chaudron que tu m'as donné? « 

_ « Je le tiens d'un homme qui a voyagé dans ton pays », répondit Bendigeid Vran, « et je ne pouvais m’en séparer sauf à le transmettre à qu'à quelqu’un de ton île. »

_  «  Qui était cet homme? » Demanda Matholwch.

_ «  Il s’appelait Llassar Llaesgyvnewid; il est venu d'Irlande avec Kymideu Kymeinvoll, sa femme. Ils se sont échappés d’une maison en fer en Irlande, alors que tous les murs étaient chauffés à fer rouge, et ils se sont enfuis jusqu’ici. Et je trouve surprenant que tu ne saches rien à ce sujet. »

_ «  Il y a bien quelque chose que je sais, » répondit Matholwch, « et je vais te dire tout ce que je sais. Un jour, je chassais en Irlande, et je suis arrivé au tertre qui domine le lac appelé lac du Chaudron. Là, j'ai vu un homme immense aux cheveux couleur de paille venant du lac portant un chaudron sur son dos. C’était un homme de grande taille et d'aspect terrible, une femme le suivait. Et si l'homme était grand, la femme était deux fois plus grande que lui. Le couple s’est dirigé vers moi et m'a salué. 

 – «  Quelle est, » leur ai-je demandé, « la raison de votre voyage? »

_ «Voici la raison de notre voyage » me dit l’homme: « Dans un mois et une quinzaine de jours, cette femme aura un fils; et l'enfant qui naîtra sera un guerrier lourdement armé. » 

Je les ai donc pris sous ma protection, et ce pendant un an. Et cette année-là, ils m’ont suivi sans rechigner. Mais bientôt il y eut des rumeurs, à cause du fait m’accompagnaient partout. Car, à partir du quatrième mois, ils commencèrent à se faire haïr et à être des perturbateurs à travers tout le pays, commettant des outrages, molestant et harcelant les nobles et les dames; et dès lors mon peuple se révolta et me pria de me séparer d'eux. En fait ils m'ordonnèrent de choisir entre cette famille ou mes États. J'ai demandé au conseil de mon pays ce qu'il fallait faire à leur sujet; car je savais qu’ils ne partiraient pas de leur plein gré, et qu’ils ne pourraient pas non plus être contraints par la force. Les gens de mon pays, lassés de mes tergiversations, décidèrent de fabriquer une maison toute en fer. Quand la maison fut prête, on fit venir tous les forgerons d’Irlande, et tous ceux qui possédaient une pince et un marteau pour sceller toutes les ouvertures. Puis on fit empiler du charbon jusqu'au sommet de la maison. Enfin, ils firent servir à l'homme, la femme et leurs enfants beaucoup de viande et de boisson; et dès qu'ils furent ivres, ils ont mis le feu au charbon autour de la maison, et ils ont actionné un grand soufflet jusqu'à ce que la maison devienne rouge tout autour d'eux. Les prisonniers se réunirent au centre de l'étage de maison. Et l'homme attendit que les plaques de fer soient toutes chauffées à blanc; puis, alors que la chaleur était devenue insupportable, l'homme se précipita contre le mur et le fracassa avec son épaule, sa femme le suivit; mais à part lui et sa femme, personne n'y réchappa. 

_  « Et c’est alors, je suppose, seigneur, » dit Matholwch à Bendigeid Vran,  « qu’il vint à ta rencontre ».

_ « Nul doute que c’est alors qu’il est venu » dit Bendigeid Vran, «  et qu’il me confia le chaudron ».

_ «  De quelle manière les avez-vous reçus ? » demanda Matholwch.

_ «  Je les ai laissé voyager à travers le pays, et chaque fois qu’ils s’arrêtaient ils se multipliaient et construisaient des places fortes qu’ils peuplaient d’hommes en armes de la plus grande valeur qu’il soit. » 

4 _ L’expédition en Irlande

Cette nuit-là, Matholwch et Bendigeid Vran ont continué à parler sans relâche, puis des ménestrels et des jeunes filles sont venues les distraire, et quand la fatigue les terrassa, ils allèrent se reposer. Le banquet se prolongea dans la joie et la bonne humeur, puis Matholwch et Branwen partirent d'Aber-Menei avec treize navires. L’Irlande, fut en liesse à l’annonce de leur arrivée. Pas un grand homme ou une noble dame n'a rendu visite à Branwen sans avoir reçu en cadeau de bienvenue un fermoir, ou une bague, ou un joyau royal à conserver pour marquer cet évènement. Et c’est ainsi que Branwen passa cette année faisant grandir sa renommée, et passant son temps agréablement en appréciant l'honneur et l'amitié. Puis un jour elle connut la joie d’être enceinte, et en temps voulu un fils lui est né. On l’appela Gwern, fils de Matholwch et on l’envoya faire son éducation avec les meilleurs hommes d'Irlande se pliant ainsi à la coutume du Fosterage.

Mais, la deuxième année, une rumeur s'éleva en Irlande, suite à l'insulte que Matholwch avait subie au pays de Galles et au dédommagement qu’il avait reçu pour ses chevaux. Ses compagnons de Fosterage, et ses amis les plus proches, l'ont ouvertement blâmé pour la conclusion de cette affaire, lui déclarant qu’il ne pourrait pas calmer ce tumulte tant qu'il ne se serait pas vengé de la honte reçue. Et la seule vengeance valable à leurs yeux était de chasser Branwen de sa chambre, et de la reléguer aux cuisines. Là, chaque jour, le boucher, après avoir coupé la viande, aurait pour mission de la frapper à l'oreille.

_ « De plus, seigneur, » dirent ses conseillers à Matholwch, « tu dois interdire dès maintenant aux navires de guerre et de commerce, même aux petits coracles, d’accoster au pays de Galles, et tu dois aussi mettre en prison tous ceux qui viennent ici depuis le Pays Galles afin que la chose ne s’ébruite pas. " 

Matholwch a suivi leur conseil; et cela a duré pendant pas moins de trois ans.

Branwen, reléguée aux cuisines, a élevé un étourneau dans le couvercle du pétrin ; elle lui a appris à parler, et a appris à l'oiseau qui était son frère. Puis elle a écrit ses malheurs et la façon dont elle était traitée dans une lettre, a attaché la lettre à la base de l'aile de l'oiseau, et l'a envoyé vers la Grande-Bretagne. L’oiseau est arrivé sur l’île des puissants et, un jour, a trouvé Bendigeid Vran en conférence à Caer Seiont en Arvon, s'est posé sur son épaule et a ébouriffé ses plumes, de sorte que la lettre soit visible. Les gens présents ont tout de suite compris que c’était un oiseau apprivoisé chargé d’une missive ;

Bendigeid Vran a pris la lettre et l'a lue. Il fut extrêmement affligé à la nouvelle des malheurs de Branwen. Et immédiatement, il a envoyé des messagers pour convoquer tous les guerriers de l’île. Et il convoqua aussi sept fois sept plus quatre pays, et leur expliqua les tourments endurés par sa sœur. Ils ont donc tenu conseil. Et pendant le conseil, il fut décidé d'aller envahir l’Irlande en ne laissant que sept hommes pour gouverner l’île des puissants. Les sept hommes étaient Caradawc, fils de Bran, Heveydd Hir, Unic Glew Ysgwyd, et Iddic, fils d'Anarawc Gwalltgrwn, Fodor, fils d'Ervyll, et Gwlch Minascwrn, Llassar, fils de Llaesar Llaesgygwyd, et Pendaran Dyved en tant que jeune page. Les sept hommes furent déclarés ministres, ayant pour mission de prendre en charge cette île; Caradawc, fils de Bran, étant leur chef.

Bendigeid Vran, a navigué vers l'Irlande à la tête des armées dont nous avons parlé, et il n'était pas très loin en mer quand il est arrivé sur un haut fond marquant l’estuaire des deux fleuves; le Lee et l'Archan. Les armées couvraient toute l’étendue de la mer. Comme l’eau était peu profonde Bendigeid Vran a chargé des provisions sur son dos, et s'est dirigé, à pied, vers le rivage de l'Irlande.

Les porcheries de Matholwch étaient situées en bord de mer, et les porchers, à la vue de la troupe immense qui approchait lances levées, sont allés prévenir Matholwch. 

_ « Salut à toi, Seigneur », lui dirent-ils.

_ « Le ciel vous protège », répondit Matholwch, «  Quelles nouvelles m’apportez-vous » 

_ « Des nouvelles surprenantes, Seigneur », répondirent-ils, « nous avons vu une forêt sur la mer, là où nous n’avions jamais vu un seul arbre »

_ « C'est vraiment une chose étrange que vous m’annoncez-là », a répondu Matholwch, «  mais avez-vous vu autre chose? »

_ « Seigneur, nous avons vu une vaste montagne à côté de la forêt », dirent-ils « la montagne se déplaçait, et il y avait une haute crête au sommet de la montagne, et un lac de chaque côté de la crête. Puis la forêt, la montagne, et toutes ces choses ont avancé. »

 - « Ecoutez tous», dit Matholwch, « je ne vois personne ici capable de donner une explication à ce mystère, sauf peut-être Branwen. »

Les porchers se sont donc rendus auprès de Branwen. 

_ « Gente Dame », dirent-ils, « que pensez-vous que ce soit? »

_  « Ce sont les hommes de l'île des Puissants,  qui ont appris les mauvais traitements et les malheurs qui m’assaillent, et sont en marche pour me délivrer. » répondit Branwen.

_  « Mais quelle est cette forêt que l'on voit sur la mer? » ajoutèrent-ils. 

_ « Les vergues et les mâts de leurs navires », répondit Branwen. 

_ «  Mais alors », dirent-ils, « quelle est cette montagne que l'on voit près des navires? » 

_ « C’est mon frère, Bendigeid Vran, marchant dans l'eau si peu profonde qu’il n'y a aucun navire dans lequel il puisse tenir sans le faire s’échouer.» répondit Branwen

_ « Quelle est la haute crête avec le lac de chaque côté de celle-ci? « 

_ « En regardant vers ici, il est en colère, et ses deux yeux furieux, un de chaque côté de son nez, sont les deux lacs à côté de la crête. » ajouta Branwen.

Les guerriers et les sages d'Irlande ont été réunis à la hâte, et ont tenu conseil. 

_ « Seigneur, » dirent ces nobles à Matholwch, « le meilleur conseil qu’on puisse te donner est de te retirer en arrière de la Linon et de garder cette rivière entre toi et lui, en brisant le pont qui enjambe la rivière. De plus tu seras protégé par le grand roc qui bloque l’accès de la rivière à toute embarcation » 

Ils se sont donc retirés de l'autre côté de la Linon et ont brisé le pont.

Bendigeid Vran a touché terre, et la flotte l’a suivi jusqu’à la rivière. 

Les chefs d’armée dirent à Bendigeid Vran,

_ « Seigneur, cette rivière est infranchissable, et le pont a été détruit. Et pourtant, il nous faut un pont? » 

_ « Celui qui veut être un chef, doit être l’exemple et le chemin pour ses hommes. Alors je serai ce pont ». Dit Bendigeid Vran

Ce fut la première fois que ce dicton a été prononcé, et il est depuis utilisé comme proverbe. Et quand Bendigeid Vran s’est allongé à travers la rivière, des dalles ont été posées sur son corps, et l’armée traversa la rivière en lui passant sur le corps.

Puis comme Bendigeid Vran se relevait, des messagers de Matholwch vinrent à lui, le saluèrent au nom de Matholwch, son parent par alliance, lui dirent qu’il venait de prendre de si bonnes décisions qu’il n'avait mérité que du bien de la part de Bendigeid Vran. 

_ « Car Matholwch a donné le royaume d'Irlande à Gwern, fils de Matholwch, ton neveu, le fils de ta soeur. Et cela, il te l’affirme haut et fort, il le fait en compensation du tort causé à Branwen. De plus, Matholwch accepte d’être exilé où tu le désires, ici ou dans l'île des Puissants. » 

_ « J’étais venu ici avec l’intention de m’emparer du trône d’Irlande, » répondit Bendigeid Vran, «  néanmoins je vais réunir mon conseil au sujet de votre proposition. D'ici là, n’espérez aucune réponse de ma part. »

_ « Nous allons transmettre ton message à Matholwch, et nous reviendrons te faire une meilleure offre de sa part, attends notre retour avant d’agir. » dirent les messagers.

_ « J'attendrai », répondit Bendigeid Vran, « mais  revenez vite. »

 

Les messagers sont retournés auprès de Matholwch. 

_ « Seigneur », lui ont-ils dit, « réfléchis à une meilleure offre pour Bendigeid Vran. Il n'a pas du tout apprécié le message que nous lui avons porté. »

_ « Mes amis, » répondit Matholwch, « que me conseillez-vous ? » 

_ « Seigneur », dirent-ils, « Bendigeid Vran n'a jamais eu de maison, faites donc construire une demeure assez vaste pour les loger lui et ses hommes de l'île des Puissants d'un côté, et toi et ton armée de l'autre côté, puis livre-lui ton royaume et rends-lui hommage. Ainsi, en raison de l'honneur que tu lui feras en lui construisant une maison si grande, à lui qui n’en a jamais pu en avoir, il acceptera de vivre en paix avec toi. » 

Puis les messagers sont retournés à Bendigeid Vran, pour lui apporter le message.

Bendigeid Vran a tenu conseil, et ses conseillers lui ont déclaré qu'il devait accepter, et tout cela a été rendu possible grâce à l’influence de Branwen qui ne voulait pas que le pays soit détruit. 

La paix ayant été déclarée, une maison a été construite à la fois vaste et solide. Mais les Irlandais avaient imaginé une ruse astucieuse ; de chaque côté des cent piliers qui soutenaient la demeure, ils ont fixé des supports auxquels ils ont accroché un sac en cuir renfermant chacun un homme en armes. 

 

5 _ Deuxième intervention d’Evnissyen

Evnissyen (le querelleur) entra en éclaireur pour les hommes de l’île des puissants. Il scruta la maison de son regard féroce, et désigna le premier des sacs en cuir qui étaient accrochés aux piliers.

_ « Qu'est-ce qu'il y a dans ce sac? » demanda-t-il  à l'un des Irlandais. 

_ «  De la nourriture, votre grâce », répondit ce dernier. 

Evnissyen s’est approché du sac et l’a tâté jusqu’à ce qu’il arrive à la tête de l'homme dissimulé, et il serra la tête jusqu'à ce qu'il sente ses doigts briser le crâne. Puis il s’est dirigé vers un autre sac, et a demandé ce qu'il y avait dedans. 

_ «  Rien que de la nourriture, votre grâce », a répondu l'Irlandais. 

Alors Evnissyen fit de même à chacun des sacs, ne laissant vivant aucun des deux cents hommes, sauf un; et quand il s’est trouvé devant le dernier sac, Evnissyen a demandé ce qu'il y avait dedans.

_ «  De la nourriture, de la farine votre grâce », répondit l'Irlandais. 

Evnissyen s’est approché du sac et l’a tâté jusqu’à ce qu’il sentit la tête de l'homme caché,  et il a serré cette tête comme il avait fait pour les autres. Et, bien qu'il ait constaté que celui-ci portait un casque, il ne l'a lâché que lorsqu'il fut certain de lui avoir broyé le crâne. Puis il a déclamé ces vers:

 

« Dans chaque sac, un drôle d’aliment était caché :
Un soldat entièrement armé prêt à nous attaquer
Dès que, par ses  compagnons, l’ordre de  bataille serait donné »

 

Ensuite, les armées sont entrées. Les hommes de l'île d'Irlande se sont groupés d'un côté, et les hommes de l'île des Puissants de l'autre. Et dès qu'ils se sont assis, ils discutèrent du traité de paix et la souveraineté de l’île d’Irlande a été conférée au jeune garçon. Lorsque la paix fut conclue, Bendigeid Vran demanda à l’enfant de s’approcher de lui, puis le garçon se rendit auprès de Manawyddan, et il était aimé de tous ceux qui le voyaient. Puis le garçon a été appelé par Nissyen, le fils d'Eurosswydd, et le garçon est allé vers lui avec confiance. 

_ « Pourquoi, » demanda Evnissyen (le querelleur), « mon neveu, le fils de ma soeur ne vient-il pas à moi? Même s’il n’était pas roi d'Irlande, je le chérirais de tout mon coeur. »

_ « Laissez-le aller vers lui », a déclaré Bendigeid Vran, et le garçon est allé confiant vers Evnissyen. »

Alors Evnissyen se leva, prit le garçon par les pieds, et avant que quiconque dans la maison ne puisse s’interposer, il jeta le garçon la tête la première dans le feu ardent. Quand Branwen a vu son fils brûler, elle a essayé de sauter dans le feu, de là où elle était assise entre ses deux frères. Mais Bendigeid Vran l’arrêta  d'une main et saisit son bouclier de l'autre. Puis ils se précipitèrent tous hors de la maison, et on n’a jamais vu aussi grand tumulte dans une armée que lorsque que tous ces hommes s’armèrent.

Morddwydtyllyon cria alors:

_ « A moi, les taons du taureau de Morddwydtyllyon! » 

Et pendant que les irlandais se précipitaient tous sur leurs armes, Bendigeid Vran entourait Branwen de son bouclier et de son épaule.

 

6 _ Evnissyen se rachète

Puis les Irlandais ont allumé un feu sous le chaudron de résurrection, ils y ont jeté les soldats broyés par Evnyssyen jusqu'à ce qu'il soit plein à ras bords, et le lendemain en sont sortis des combattants aussi vaillants qu'auparavant, bien que muets. 

Quand Evnissyen a vu les cadavres des hommes de l'île du Puissant ressuscités de nulle part, il se dit en lui-même:

_ « "Hélas! Malheur à moi, qui ais mis les hommes de l'île du Puissant dans une position si dangereuse. Le diable m’emporte si je n’arrive pas à les sauver. » 

Et il se jeta parmi les cadavres Irlandais encore présents sur le sol. Deux soldats irlandais vinrent vers lui et, le prenant pour l'un des leurs, le jetèrent dans le chaudron. Evnissyen s'est étendu de tout son long dans le chaudron, de sorte qu'il a brisé le chaudron en quatre morceaux, mais en même temps il se brûla le corps jusqu’au coeur.

C’est ainsi que les hommes de l'île des Puissants sortirent victorieux de la bataille; mais ce fut une victoire sans gloire, car seuls sept d'entre réussirent à s’échapper, et Bendigeid Vran lui-même avait été blessé au pied par une fléche empoisonnée. Les sept hommes qui réussirent à s’échapper étaient Pryderi, Manawyddan, Gluneu Eil Taran, Taliesin, Ynawc, Grudyen, fils de Muryel, et Heilyn, fils de Gwynn Hen.

7 _  Translation de la tête de Bran le Béni 

Se sentant mourir,Bendigeid Vran leur a ordonné de lui couper la tête. 

_ « Prenez ma tête », dit-il, « portez-la jusqu'au Mont Blanc à Londres (là ou a été depuis bâtie la tour de Londres), et enterrez-la, la face tournée vers la France. C’est un long voyage qui vous attend : Vous devrez festoyer pendant sept ans à Harlech (Pays de Galles), les oiseaux de Rhiannon chanteront pour vous pendant tout ce temps. Et pendant tout ce temps, la présence de ma tête vous sera aussi agréable que si elle était sur mon corps. Puis vous resterez quatre-vingt ans à Pembroke (Pays de Galles), où vous garderez ma tête, qui ne pourrira pas, jusqu'à ce que vous arriviez à l’Aber Henvelen ou se trouve la porte qui fait face à la  Cornouaille. Une fois que vous l’aurez ouverte, vous ne pourrez plus vous attarder, et vous devrez partir sans attendre pour Londres afin d’enterrer la tête. Telle est ma volonté, agissez sans attendre. »

Alors ils lui ont coupé la tête, et les sept survivants sont partis avec. Branwen, qui elle aussi avait survécu, était la huitième personne de la petite troupe. Ils posèrent pied à Aber Alaw (nord du Pays de Galles), où ils s'assirent pour se reposer. Branwen regarda vers l'Irlande et vers l'île des Puissants.

_ « Hélas», dit-elle, « maudit soit le jour où je suis née; deux îles ont été détruites à cause de moi! »

Puis elle a poussé un grand cri et son cœur s'est brisé. Les sept survivants lui ont creusé une tombe, et l'ont enterrée là, sur les rives de l'Alaw.

Ensuite les sept hommes se sont dirigés vers Harlech, portant la tête avec eux. En chemin ils rencontrèrent une multitude d'hommes et de femmes. 

_ « Avez-vous des nouvelles à nous rapporter? » demanda Manawyddan. 

_ « Nous n'en avons pas », répondirent-ils, « si ce n’est que Caswallawn le fils de Beli a conquis l'île des Puissants, et a été couronné roi à Londres. »

_ « Que sont devenus Caradawc, fils de Bran, et les sept hommes qui sont restés avec lui pour gouverner l’île? » demandèrent les sept survivants.

_ « Caswallawn s’est jeté sur eux, et a tué six des hommes. Cela a brisé le cœur de Caradawc de chagrin; car s’il pouvait voir l'épée qui a tué les hommes, il ne savait pas qui était celui qui la maniait. Caswallawn s’était recouvert du voile d'illusion, de sorte que personne ne pouvait le voir tuer les hommes, seule l'épée était visible. Caswallawn épargna Caradawc, car il était son neveu, le fils de son cousin. Mais ce dernier a eu le cœur brisé de chagrin. Pendaran Dyved, qui était resté avec eux en tant que jeune page s'est enfui dans le bois », ont-ils ajouté.

Ensuite les sept survivants sont allés à Harlech, et là ils se sont arrêtés pour se reposer, on leur a fourni de la viande et de l'alcool, et ils se sont assis pour manger et boire. Trois oiseaux vinrent leur chanter le chant le plus merveilleux qu’ils aient jamais entendu, et les oiseaux leur semblaient être très loin d'eux au-dessus de la mer, mais leur chant était aussi distinct que s'ils volaient à proximité. Et ce festin dura sept ans.

A la fin de la septième année, les sept survivants sont allés à Pembroke où ils ont trouvé un grand manoir dans un endroit majestueux surplombant l'océan. Ils sont entrés dans le hall, dont deux des portes étaient ouvertes, mais la troisième,  celle qui regardait vers la Cornouaille, était fermée.

_ « Nous y voici, » a déclaré Manawyddan, «  c’est la porte que nous n’avons pas le droit d’ouvrir. »

 Et cette nuit-là, ils festoyèrent et se divertirent. Et ils ne se souvinrent de rien ce qu'ils mangèrent, ni de ce qu'ils entendirent; rien de tout cela, ni d'aucun chagrin que ce soit. Et ils sont restés quatre-vingt ans, incapables de se souvenir avoir jamais passé un moment plus joyeux ou merveilleux. Ils n'étaient pas plus fatigués qu’à leur arrivée, ils ne voyaient pas non plus le temps passer. Et ce n'était pas plus gênant pour eux de côtoyer la tête, que si c’était Bendigeid Vran lui-même qui était avec eux. Et ces quatre-vingts ans, ont été appelé « l’épopée de la tête royale». L’épopée de Branwen et Matholwch s’étant accomplie dans le temps où ils étaient en Irlande.

Un jour, Heilyn, fils de Gwynn, déclara:

_ « Que le malin m’emporte si je n'ouvre pas la porte. Je dois savoir si ce qui nous a été dit à son sujet est vrai. »

Heilyn ouvrit donc la porte et regarda vers la Cornouaille. Et quand ils portèrent leurs regards sur la Cornouaille, les sept survivants prirent conscience de tous les maux qu'ils avaient subis, et de tous les amis et compagnons qu'ils avaient perdus, et de toute la misère qui les avait frappés, comme si tout cela s'était passé à l’instant même. Et ils prirent surtout conscience du sort de leur seigneur. Et cela leur causa tant de trouble qu’ils ne pouvaient plus se reposer, et se sont dirigés vers Londres où ils ont enterré la tête de Bran le Béni sous la Montagne Blanche. Son inhumation se révéla être la troisième bénédiction que l’île ait connu, tandis que la troisième malédiction s’abattit sur elle quand la tête fut exhumée : En effet, une ère de prospérité a régné sur l’île des puissants, sans aucune invasion de l'autre côté de la mer tant que la tête a été enterrée.

Et ceci est la conclusion de l'histoire des sept survivants qui sont revenus d'Irlande.

En Irlande, personne n’avait survécu, sinon cinq femmes enceintes terrées dans une grotte au milieu de nulle part. Une nuit, ces cinq femmes donnèrent naissance, chacune, à un fils, qu'elles ont nourris jusqu'à ce qu'ils deviennent des jeunes adultes. Arrivés en âge de procréer, chacun des garçons prit pour femme la mère d’un de ses compagnons, et ils gouvernèrent le pays et le repeuplèrent.

Ces cinq-là se partagèrent l’Irlande, et les cinq royaumes de l'Irlande ont gardé les noms qu’ils leur avaient donné. En fouillant le terrain où la bataille entre les armées de Bendigeid Vran et de Matholwch avait eu lieu ils ont trouvé de l'or et de l'argent à profusion et firent fortune.

C’est ainsi que se termine cette partie du Mabinogi, concernant la gifle portée à Branwen, qui fut le troisième malheur de cette île; et concernant le destin de Bran le béni, lorsque ses armées se rendirent en Irlande pour venger le coup porté à Branwen; et concernant aussi le banquet de sept ans à Harlech, ainsi que le chant des oiseaux de Rhiannon, sans oublier la translation de la tête qui dura quatre-vingts ans.

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