Bastien et Crispin
Galice
Traduit de l'espagnol par le conteur Armanel
Il
était une fois, voila bien longtemps déjà, deux frères appelés Bastien et
Crispin. Tous deux fils de prince, Bastien était l’aîné et était très riche car
il avait hérité de tous les biens de son père quand celui ci mourut. (C’était
la règle en ces temps là). Crispin lui était ce qui n’avait hérité de
rien du tout était très pauvre.
Mais les différences entre les
deux frères ne s'arrêtaient pas là: Si Bastien était riche il était aussi un
peu bête et très jaloux de tout le monde, surtout de son frère Crispin. Crispin
lui par contre, s'il était pauvre, était toujours très joyeux, inventif, très
dégourdi et malicieux.
Tous les deux étaient
mariés et vivaient donc chacun avec leur femme dans leur maison mais leurs vies
étaient très différentes. Le premier, Bastien, vivait dans un joli petit
château hérité de son père avec beaucoup de serviteurs à son service. Le
deuxième, Crispin, vivait dans une petite chaumière, privé de tout le confort
nécessaire voire de l'indispensable, au point que comme il gagnait sa vie en
vendant des sardines dans les villages alentour, il dut s'endetter afin
d'acheter un petit âne pour transporter sa marchandise.
Mais chaque fois qu'il quittait
le petit port de pêcheurs où il vivait pour aller vendre ses sardines dans les
villages alentour, il voyait son frère qui l'observait depuis son château et
qui ne le quittait pas des yeux...
Dès qu’il se vit avec un douro en
poche, Crispin dit à sa femme :
« Pepa, mon frère est très
jaloux et dès qu’il saura que j’ai cette bête, il va vouloir me
l’acheter : Ecoute ce que j’ai imaginé pour qu’il me le paie un bon
prix. Nous n’avons pas d’autre argent que le douro que tu sais ; je le
change en pesetas, je les donne à manger à notre âne avec son foin et, si je
dis à mon frère que l’âne crache des pesetas dans son crottin, tu vas
voir à quel bon prix il va m’acheter le bourricot..
« Tu joues le tout pour le
tout. Et si ça ne marche pas ?
« Laisse moi faire, je vais
le rouler dans la farine.
Crispin fit donc comme il avait
dit : Il échangea le douro en pesetas, fit avaler les pesetas à l’âne,
puis passa sous les fenêtres du château de son frère, celui ci sortit pour
venir à sa rencontre et s’exclama :
« Sainte Vierge, Crispin !
Te voilà à présent avec un âne. Et moi qui n’en a pas !
« Oui, mon frère, mais je me
suis endetté pour l’avoir » répondit Crispin
« Et bien vends le moi et
achètes-en un autre.
« Je sais ce que j’ai et je
ne le vends pas. Cet animal est un véritable trésor. Grâce à lui je serai
bientôt aussi riche que toi.
« Aussi riche que moi ?
Il fait donc des miracles ?
« Il crache des pesetas avec
son crottin, et tu vas pouvoir en juger par toi-même car je crois qu’il a envie
de se soulager.
L’âne se soulagea et les deux
frères se penchèrent sur le crottin, et en voyant les pesetas au milieu du tas,
Bastien dit à Crispin :
« Mon petit frère adoré, vends
moi cet âne. Je t’en donnerai un bon prix.
« Et combien m’en donne
tu ?
« Je t’en donnerai mille
réaux !
« Je ne lâcherai pas à moins
de deux mille », répondit Crispin « Et encore parce que c’est toi.
« Tope là et prends tout de
suite tes deux mille réaux ajouta Bastien.
Crispin prit l’argent, laissa l’âne
aux mains de son frère et, en rentrant dans sa chaumière, il appela sa femme et
lui dit :
« Pepa, ça a bien marché,
voici deux mille réaux que Bastien m’a donné en échange de l’âne. Mais Bastien
ne va sûrement pas tarder à venir ici pour se plaindre d’avoir été trompé quand
il verra que son âne ne lui donne pas d’argent. Voici ce qu’il faudra
faire :
Nous avons deux lapins jumeaux, tu
vas en attacher un avec une laisse dans un coin du jardin, moi je pars avec
l’autre dans la forêt pour couper des ajoncs. Quand Bastien va venir se
plaindre tu lui diras que tu ne sais pas où je suis, mais que ce n’est pas
grave car tu vas lâcher le lapin pour qu’il vienne me chercher et me dise de
rentrer le plus vite possible.
Pendant que Crispin partait dans la
forêt et que Pepa attachait le lapin au fond du jardin, Bastien fouillait dans
la paille sous son âne et il ne voyait que du crottin et pas de pièces
d’argent, si bien qu’il ne tarda pas à aller chez son frère pour lui dire qu’il
était très en colère et qu’il voulait le voir immédiatement . Pepa sortit sur
le pas de sa porte et, le voyant là avec l’âne, lui dit sans se troubler :
« Bonjour Bastien. Qu’y a-t-il
pour ton service ? »
« Je vous rapporte votre âne,
et il faut me rembourser immédiatement les deux mille douros que ton mari m’a
soutiré en échange. »
« Et pourquoi donc ? »
Demanda Pepa
« Il y a eu tromperie, je
renonce à l’affaire. Ton mari m’avait juré que cet âne était un vrai trésor,
qu’il avait le don de cracher des pesetas avec son crottin ; et c’est pour
cela que je l’ai acheté. Mais depuis que je l’ai il ne m’en a pas fait une
seule, aussi je te dis : Reprends l’âne et rends moi les
sous ! »
« Crispin n’est pas là
et moi je n’ai rien à voir dans vos affaires, mais entre tout de même, je vais
l’envoyer chercher et tu pourras lui parler. »
Bastien entra et Pepa détacha le
lapin qui à peine libéré s’enfuit vers la forêt.
Dès qu’il vit le lapin entrer dans
la forêt, Crispin en sortit, tenant l’autre lapin dans ses bras et demandant à
Pepa :
« Que se passe-t-il ? Pourquoi
cette petite bête est elle venue me trouver en courant et me dire de rentrer au
plus vite à la maison ? »
« Hélas, c’est ton frère qui
ne veut plus de l’âne et qui demande que tu lui rendes ses sous. »
« Oui, c’est bien vrai »
répondit Bastien « mais d’abord dis moi Crispin, est ce vrai que ce petit
anima que tu as dans les bras est allé faire la commission et de dire de
venir ? »
« Bien sûr que oui ! Nous
sommes pauvres et n’avons pas d’autre domestique ; si nous étions aussi
riches que toi, nous en aurions d’autres mais, mon cher frère, celui-ci vaut
son pesant d’or. »
« Mon cher petit frère vends
moi ton lapin ! »
« Serais tu devenu fou par
hasard, tu veux ma ruine ! Je ne te le vendrais pas ; c’est un
domestique fidèle et qui ne nous coûte rien d’autre que le peu d’herbe qu’il
mange. »
« Mon cher petit frère vends
le moi et je te ferais grâce de l’argent que tu me dois pour
l’âne ! »
« Je te le vendrais, mais
uniquement parce que tu y tiens tellement, mais il faut m’en donner mille
réaux. »
« C’est beaucoup Crispin, il
n’en vaut pas tant. »
« Tu verras qu’il les vaut et
même plus » répondit Crispin
Bastien se saisit de l’animal, paya
les mille réaux et s’en alla en emportant l’âne et le lapin. Arrivé chez lui et
croyant ferme à tout ce que son frère lui avait dit, il paya à ses domestiques
tout ce qu’il leur devait, les renvoya et mit l’âne au milieu des troupeaux sur
la colline afin qu’il les garde. Mais dès que la lapin se vit libre il s’enfuit
dans la forêt comme avait fui son frère jumeau.
Pepa toute fière de compter les
trois mille réaux que son mari avait soutiré à son frère, mais qui ne voulait
surtout pas être obligée de les rendre et s’inquiétait du retour de Bastien
quand celui-ci verrait qu’il avait été berné uns fois de Plus.
Crispin lui dit alors :
« Nous avons un vieux mouton à
moitié paralysé dans la bergerie, il ne nous est utile à rien, nous allons le
tuer, puis nous allons remplir un de ses boyaux avec son sang. Cela fera une
petite poche que tu cacheras dans ton corsage. Quand Bastien va revenir se
plaindre, je lui dirai que tout est de ta faute, et qu’en agissant ainsi tu
m’as déshonorée. Je prendrai alors un grand couteau et je percerai le boyau en
faisant semblant de te tuer, le sang du mouton va couler sur ta robe et tu
te laisseras tomber à terre comme si tu étais morte. A ce moment, je prendrai
mon petit pipeau pour te jouer un air près de l’oreille, et tu feras semblant
de reprendre vie peu à peu pour te remettre enfin debout devant. Tu as
compris ? »
« Oui, oui, ne t’en fais
pas »
Bastien revint, en effet, le soir
en se plaignant d’avoir été trompé une nouvelle fois. Il avait envoyé son lapin
avec le bétail en haut sur la colline, et pas moyen de remettre la main dessus.
Il réclamait, par conséquent, les mille réaux et menaçait d’appeler la police
en cas de refus.
Crispin lui répondit :
« S’il y a eu tromperie, c’est
de la faute à Pepa, ma femme, car si tu t’en souviens bien, je n’étais pas à la
maison quand tu es venu te plaindre pour l’âne. Et pour que tu comprennes bien
que moi je ne cherche pas à te tromper je vais la tuer sous tes yeux. »
Et sortant son couteau, le voici
qui le plante dans le boyau de mouton caché sous le corsage de Pepa. Celle-ci
s’effondra sur le sol comme si on l’avait tuée. Bastien tout tremblant,
regrettait déjà d’être venu se plaindre et ne savait plus que dire, mais
Crispin, le couteau taché de sang à la main, lui :
« Tu vois que pour toi et ton
honneur j’ai tué ma femme. Que vais-je devenir à présent ? »
« Crispin pardonne moi »
répondit Bastien en le serrant dans ses bras « je renonce aux mille réaux,
mais tu es perdu et comme tu as commis un meurtre tu vas sûrement finir en
prison. »
« Ne crois pas ça, j’ai avec
moi un pipeau miraculeux et si j’en joue trois à quatre fois à l’oreille de ma
femme elle va ressusciter »
Crispin apporta une petite flûte de
buis et, l’introduisant presque dans l’oreille de Pepa, il commença à jouer un
petit air. Aux premières mesures elle ne donna pas signe de vie, ni aux
secondes, ni aux troisièmes. Bastien, les yeux fixés sur Pepa n’en menait pas
large et se disait que jamais elle ne reviendrait à elle quand, aux quatrièmes
mesures elle commença a bouger un peu. Et Bastien soulagé encourageait son
frère à continuer de souffler sa musique. Alors Crispin rejoua une cinquième
fois sa musique sur un air plus joyeux et entraînant et la prétendue morte se
releva laissant Bastien bouche bée.
Quand Pepa fut debout Bastien,
jaloux du pouvoir de ce pipeau demanda d’une voix suppliante à Crispin de le
lui vendre.
« Tu veux ma
ruine ? M’ôter tous les moyens de vivre ? Je ne te le vends
pas. » Répondit Crispin.
« Fais ton prix, je ne
discuterai pas ! »
« Et bien, il vaut deux mille
réaux, pas un sou de moins. »
Bastien lui versa les deux mille
réaux et s’en retourna chez lui avec le pipeau.
Un jour, quelques mois plus tard,
eut une dispute avec sa femme dans la cuisine et dans la dispute il lui donna
un coup de couteau qui la laissa bel et bien morte. Bastien eut beau essayer de
la ranimer avec l’aide du pipeau celle-ci ne ressuscita pas. Cette fois-ci
Bastien était très en colère après son frère et après avoir fait enterrer
sa femme il se présenta furieux et accompagné de ses domestiques (qu’il avait
réembauché après l’histoire du lapin) chez son frère.
« Mauvais frère, tu m’as
escroqué tout mon argent, mais ton tour et venu : tu vas mourir noyé en
châtiment de toutes les tromperies que tu m’as faites. Fourres toi dans ce
grand sac que j’ai apporté ou mes serviteurs s’en chargeront.
Crispin se mit dans le sac, Bastien
le noua promptement et, l’ayant chargé sur son dos, se dirigea vers le puits de
la colline qui était très profond. Mais Crispin était lourd et Bastien
commençait à fatiguer. Alors qu’il passait devant une auberge, il posa le sac à
terre pour pouvoir aller se désaltérer. Crispin saisit l’occasion pour appeler
à l’aide.
Un muletier qui passait par là
entendit l’appel à l’aide de Crispin et s’approchant du sac demanda :
« Que vous arrive-t-il ?
Pourquoi êtes vous enfermé dans ce sac ? »
« Hélas, on m’emmène épouser
la file du roi, et comme je ne veux pas, car je suis déjà marie*é avec Pepa, on
m’emmène de force. »
« Sapristi, je veux bien
épouser la fille du roi, changeons de rôle, et prenez mon troupeau de mules et
toutes les caisses de vin qu’elles transportent. »
« Topez-là, et ouvrez le sac
tout de suite. »
Le muletier dénoue la corde,
Crispin sort du sac, puis enferme le muletier à son tour dans le sac et
s’enfuit avec les mules et leur chargement.
Quand Bastien se fut désaltéré, il
reprit le sac et se dirigea vers le puis ou il le jeta en croyant noyer son
frère.
Pendant ce temps Crispin était
arrivé au village avec toutes ses mules et tout le vin qu’elles transportaient
et ouvrit une auberge avec de grandes écuries avec l’aide de Pepa. Les voisins
l’appelaient déjà : « Monsieur », et quand Bastien fut mis au
courant de la fortune nouvelle de son frère, il courut au village.
« Crispin, mon petit frère, tu
es vraiment le diable. Comment t’es tu échappé du puits où je t’ai
jeté ? »
« Justement, c’est de ce puits
que sont venues les mules et le vin, et il reste encore au fond les meilleurs
bêtes »
« Mon cher petit frère,
retournons là-bas tous les deux, je veux les autres mules. »
« Tu as toujours été envieux
de moi, Bastien, tu as tout ce que tu peux espérer et cela ne te suffit pas.
Demain, si tu le désires nous retournerons au puits, mais s’il t’arrive un
malheur ce ne sera pas la peine de crier ;. »
Le lendemain, au lever du jour,
Crispin prit deux mules, monta sur une et se dirigea vers le château de
Bastien. A son arrivée, Bastien grimpa sur la deuxième mule et les deux frères
se dirigèrent vers le puits de la colline. Quand ils arrivèrent près du puits,
Crispin fit boire ses mules dans une petite flaque. Comme elles se reflétaient
dans l’au, Bastien crut que leur reflet était l’image des mules sous la terre
au fonds du puits et se jeta la tête la première dans le puits. Comme Bastien
ne savait pas nager, il se serait noyé si Crispin ne l’avait pas repêché avec
une corde.
« Ecoute-moi bien, Grand
frère, tu as tout ce que tu peux désirer, mais comme tu es envieux tu veux
aussi avoir le peu que les autres ont. Est-ce que toutes ces mésaventures ne
t’ont pas ouvert les yeux ?»
Bastien jura qu’il ne
recommencerait plus et quand il se remaria il fit le repas de noces dans
l’auberge de Crispin et de Pepa, et il apprit à ses enfants à n’être jaloux de
personnes et surtout pas de leurs cousins.