Arthur et le dragon apprivoisé

Cornouailles 

Collecté et traduit par Armanel

 

Catho, roi de Dunster, était assailli de toutes parts. Les pirates irlandais traversaient le Bristol Channel au nord de son domaine pour venir piller ses villages, les hordes saxonnes menacaient sa frontière Est, et les marches de son domaine qui jouxtaient les forêts au milieu desquelles il avait bâti son château étaient brûlées par un dragon féroce.
Chaque nuit les habitants des environs venaient se réfugier au château de Dunster et la simple idée que le dragon puisse renverser la forteresse à l'aide de ses énormes griffes ou les faire disparaître à l'aide de son haleine brulante les empêchait de dormir.

Le dragon venait de d'apparaître à la lisière de la forêt et tous les réfugiés le regardaient avec terreur quand la faim dirigea ce dernier vers les troupeaux qui paissaient dans les prés salés des marches du royaume et vers le gibier qui errait dans les bois.

Mais plus le dragon mangeait, plus il grossissait et bientôt sa taille fit frémir même les plus audacieux car si plus il mangeait, plus il grandissait et grossissait, mais sa faim grossissait aussi et sa témérité grandissait de même. Il arriva un jour, qu'ayant mangé tous les animaux sauvages et dévoré tout le bétail il commença à s’attaquer aux êtres humains pour satisfaire sa faim.

Les soldats du roi Catho qui combattaient les pirates irlandais furent rapidement convoqués pour attaquer le dragon. Et bientôt une petite armée s’avança vers le monstre. Ils furent balayés en un instant et dévorés par le dragon qui ensuite cracha les morceaux de leurs armures comme vous vous crachez les pépins de raisin.

Mais près des marches de Dunster, chevauchait Arthur Pendragon  qui avait été récemment déclaré Haut Roi de Bretagne, Il y avait un brouillard épais et Arthur n’arrivait pas à faire la différence entre la terre, la mer et le ciel car l’herbe n’était plus verte et la mer n’était plus bleue mais tout le paysage avait pris la couleur grise du ciel.  Comme il n’arrivait pas à trouver son chemin, il n’osait pas s’engager sur ces plaines marécageuses, de peur de disparaître dans les sables mouvants nombreux à cet endroit. Il ne voulait pas, lui le nouveau roi perdre sa vie dans ces terres désolées et laisser tout son peuple à la merci des saxons.

Arthur se rendait chez le roi Catho pour lui demander de s’allier  lui afin de repousser les soldats ennemis qui attaquaient son château de Camelot, et ne savait pas que Catho avait un problème plus urgent avec son dragon. Guidé à travers les marches par un paysan de la région, Arthur, perdu dans ses tristes pensées ne remarqua pas combien le pays était silencieux : pas de chant d’oiseaux dans les airs ou sur la cime des arbres, pas de meuglement de vaches ou de bêlements de moutons dans les prairies, et calme: on ne voyait rien bouger, pas d’animaux paissant dans les champs ni d’êtres humains marchant sur les chemins.

En arrivant au château, Arthur demanda de l’aide au roi Catho. Il ne comprit pas pourquoi celui-ci lui rendit un sourire triste en réponse à sa demande et s’en offusqua un peu ; Alors le roi Catho lui dit : « Je veux bien vous aider, si vous aussi vous venez à mon aide. Mes hommes sont désemparés face à un dragon qui les mange par douzaines. Le reste de mon armée sera sous vos ordres si vous me débarrassez du monstre. »

Il nous est dit qu’Arthur Pendragon haut roi de Bretagne, fit la promesse de débarrasser le pays du dragon et ne mit que quelques instants à se décider à monter en selle pour partir à la quête du dragon. Aussi, le voici chevauchant de nouveau dans les marches, pressé par le besoin impérieux d’enrôler les hommes du roi Catho et poussé par une promesse qu’il ne pourrait certainement jamais tenir.

Arthur savait que sa renommée ne suffirait pas à effrayer le dragon et se demandait si Excalibur, sa fidèle épée aux pouvoirs magiques qui le protégeait des blessures sur les champs de bataille serait efficace face à un dragon. Il errait de ci de là à la recherche du Dragon mais ne le trouvait pas. Bientôt il dut s’arrêter car il était arrivé à la limite des terres et était sur le rivage de la mer que l’on appelle Severn Sea …

 Là, alors que son regard fouillait les eaux salées, Arthur vit une forme étrange flotter entre deux eaux, quelque chose de si brillant qu'il laissait penser que quand l'aube s'était levée, un morceau de celle-ci était tombée dans la mer. Au fur et à  mesure que la marée rapprochait cette masse aux couleurs chatoyantes du rivage, Arthur  pouvait voir qu’elle était faite de roc, mais cela rendait la forme encore plus étrange à  ses yeux car les rochers ne flottent pas…

Maintenant la forme était arrivée si près de rivage qu’Arthur pouvait apercevoir  qu'au milieu de la roche jaune safran émergée il y avait des sculptures d’ailes et de croix. Arthur descendit de son cheval et s’agenouilla sur le rivage attendant que la marée finisse par lui apporter cette chose merveilleuse. Déjà, il avait l’impression de tenir cette roche spéciale entre ses mains et son cœur se gonflait de bonheur et d’espoir. Il savait qu’il ne pourrait pas laisser ce rocher merveilleux seul sur la plage au risque de le voir finir entre de mauvaises mains. Dès qu’Arthur put toucher la chose il se sentit rempli d’une force extraordinaire qu’il n’avait jamais ressenti auparavant, et il souleva la roche  l’emportant loin du rivage et la dissimulant sous des brassées de goémons.

Peu après, alors qu’il chevauchait sur la plage de blue anchor bay, Arthur vit au loin une forme humaine ; Il pouvait voir que c’était un vieil homme qui s’appuyait sur un bâton, et pendant un moment il espéra même que c’était Merlin, son magicien, qui venait à sa rencontre pour l’aider. Mais Arthur dut vite se rendre compte que cet homme était un étranger, et même un étranger en détresse car quand il vit Arthur, l’étranger se mit à le questionner en pleurant. « Avez vous vu mon autel ? »’
L’étranger se présenta à Arthur en lui disant qu’il s’appelait Carantoc et qu’il venait du Pays de Galles voisin. Il était un ermite qui avait passé la plus grande partie de sa vie retiré dans une caverne jusqu’à ce qu’il eut une vision. Dans sa vision il vit l’image d’un autel qu’il devrait créer, un autel de pierre sculpté avec des croix, des ailes d’anges et des colombes. Il  entendit aussi une voix qui lui disait qu’une fois son autel terminé il lui faudrait le traîner jusqu’à la mer et le faire flotter. Et qu’ensuite il devrait le suivre jusqu’à ce qu’il touche terre et que là il devrait bâtir une église.

Le vieil ermite dit encore :

"Je suivais mon autel dans mon coracle quand j’ai été distrait par un cavalier qui chevauchait sur la plage et un énorme mouvement tourbillonnant dans le brouillard derrière lui, un peu comme un ouragan, et j’ai perdu mon autel de vue."
"Ecoutez !" répondit Arthur impressionné par le récit du vieil homme et ses étranges pouvoirs, "si vous m’aidez peut être que moi aussi je pourrais vous aider."
Alors qu’Arthur descendait de son cheval, ce dernier se cabra et Arthur sursauta en entendant un étrange et terrible sifflement. La mer se mit à bouillonner et à son côté Escalibur devint  rouge comme si elle sortait des mains du forgeron. La chaleur que dégageait le souffle du dragon transformait le sable de la plage en verre et ce dernier poussé par la faim se dirigeait vers nos deux hommes.
Le vieil ermite dressa son bâton vers le dragon.

"Stop !" cria t’il et le dragon s’arrêta.

"Couché !" cria t’il et le Dragon s’assit.

"Et maintenant on se calme !"  cria t’il une dernière fois et les flammes s’éteignirent dans la bouche du dragon et la fumée disparut de ses naseaux.

 Alors Carantoc prit la corde qui lui servait de ceinture et en fit un collier qu’il mit autour du cou du dragon. Arthur prit la laisse du dragon et se dirigea ver les tas de goémons qui cachaient l’autel où son cheval les attendait. Pour prouver qu’il était désormais apprivoisé et qu’il avait décidé de devenir végétarien le dragon commença par manger les tas de goémon tandis que le cheval d’Arthur reniflait et léchait son nouvel ami. Puis notre équipage prit la route du château de Dunster où le roi Catho fut étonné et heureux de les accueillir.
Quand le roi entendit toute l’histoire il promit à  Carantoc de lui donner l’argent nécessaire pour bâtir son église là ou l’autel avait échoué sur la grève, et Arthur chevauchait avec une grande troupe de soldats du roi catho pour aider les soldats qui combattaient les pirates Irlandais  au nord du royaume.

 Pendant ce temps, le dragon rendait service à tout le monde en rallumant les feux de cheminée éteints et en chauffant les salles du château quand le vent venait du nord.
Mais les pirates irlandais s’enfuyaient à bord de leurs bateaux chaque fois qu’ils voyaient Arthur et les soldats et revenaient dès que ce dernier avait le dos tourné. Cela aurait pu durer longtemps si Arthur n’avait pas eu l’idée d’utiliser le dragon pour combattre plutôt que de le laisser faire le domestique dans le château de Dunster.
Arthur commanda donc au dragon de se rendre dans la Severn Sea et de patrouiller de long en large depuis l'estuaire jusqu'à la pointe de Hinkley comme un serpent géant et de mettre en fuite les pirates qui essaieraient d’attaquer le royaume de Catho. Les pirates furent si effrayés du dragon qu’ils s’enfuirent et ne revinrent jamais ce qui libéra les soldats du roi Catho qui suivirent le roi Arthur et l’aidèrent à combattre les saxons et à les éloigner de Camelot.

Notre histoire pourrait s’arrêter là si je n'avais pas appris par Alison Mothersead, diaconesse à Carhampton que dernièrement le vicaire de Carhampton avait décidé d’agrandir sa cave à vin. Pendant les travaux d’agrandissement on a découvert un vieil autel sculpté enfoui près du presbytère.
Il y a encore autre chose de frappant: durant les grandes marées dans la vase de Blue Anchor Bay on peut trouver des éclats de rochers rose, bleu et jaune safran appelés perles de Carantoc par les villageois.
Et enfin, non loin de là, près de la pointe de Hinkley on a construit une centrale nucléaire à l’endroit même où le dragon a fini sa vie.