An Diaoul Du

Je remercie Jean L. de Plouzané de m'avoir donné ce texte "très personnel". 
Merci de ne le reproduire sous aucune forme que ce soit.

Plouzané

Armanel - conteur


L’école est finie, on rentre de l’école à la maison. Mon frère et moi, arrivés dans la cuisine, nous déposons nos sacs d’école sur la table. Notre mère nous donne à chacun un bol de café au lait, et quand nous avons fini elle nous dit : « maintenant vous allez faire  vos devoirs et apprendre vos leçons. ».  D’un seul cœur nous répondons : « Oui, Mamm. ». « Soyez sages ! » « Oui, Mamm ». « Les enfants qui n’obéissent pas peuvent être emmenés avec le diable, il est noir et possède une fourche à deux doigts ». On ouvre nos sacs et on sort les cahiers. On regarde le temps qu’il fait dehors et je dis à mon frère : « On reste ici alors qu’il fait si beau dehors. Si on étudie maintenant, il fera nuit quand on aura fini et ensuite on aura rien à faire ! Et si on allait faire un tour dehors, les devoirs on les fera plus tard !». Bon, on y va, les mains dans les poches on flâne dans la cour. Les porcheries sont en face qui contiennent pas des centaines de cochons mais une dizaine de truies, une dans chaque crèche. Chacune avec une porte et un verrou. Une autre à côté avec une porte et un verrou séparées d’un mur de pierres, et ainsi de suite, le tout couvert d’un toit en chaume. D’un côté, l’écurie des chevaux, de l’autre côté l’étable avec les vaches.

On va de l’autre bord où sont les tas de paille et de foin. Il n’y a pas de hangar, les tas de paille et de foin sont en longueur et le sommet en arrondi pour que l’eau de pluie s’écoule. La paille est en vrac, et quand on l’utilise pour les besoins des animaux il y a du gaspillage, d’où pas mal de paille qui traîne au sol. Je me dis : « Et si on se mettait à faire des tas de cette paille. Au fond, on ferait une bonne action et ça serait utile de le faire ! ».  On trouve deux fourches qu’on trouve dans les crèches. On commence à faire des petits tas de paille, ce n’est pas dur à faire. Au bout d’un moment, mon frère qui est plus jeune que moi me dit : « Il serait peut-être temps qu’on fasse nos devoirs ! ».  Je lui dis : « On va quand même finir ce qu’on a commencé ! ». Il commence à faire sombre. Mon frère me dit : « Ce n’est pas bien ce qu’on fait, j’ai peur. Le diable peut venir nous chercher ! ». « Oh, il n’est pas encore là. S‘il vient, c’est de là-bas où il y a des marais, de la lande et des ronces. Et personne n’y habite. C’est là qu’il est, et il ne vient jamais le jour. Il y a là un chemin creux de deux cent mètres qui débouche là au coin, et il n’est pas encore là ! ». On continue à faire des petits tas de paille. « J’ai peur ! » me dit mon frère. « Espèce de peureux, moi je n’ai pas peur du diable ! S’il doit venir, il est peut être arrivé à moitié du chemin. On va quand même finir ! ». Alors qu’il fait sombre, on voit une masse noire s’avancer dans la petite entrée du coin. La chose paraissait basse et allongée  en se balançant d’un bord à l’autre. On s’est mis à hurler d’épouvante en laissant tomber nos fourches. On a couru à toutes jambes jusqu’à la maison et on s’est jeté sur le coffre adossé au lit clos le plus reculé de la pièce. Notre mère qui était rentrée nous demande : « Mais, qu’est ce qui vous arrive, ». Je dis avec force : « Fermez la porte, fermez la porte » assis sur le coffre, les pieds ne touchant pas le sol. Mes genoux faisaient les castagnettes tellement je tremblais. « Mais qu’est ce que vous avez vu ? ». Et on se remet à hurler sans donner d’explications.

Mon père et mon frère aîné étaient au champ faire les semis de blé car c’était l’époque du semis. Ils sont restés finir, c’est pourquoi ils sont tard. René rentre à la maison et ma mère lui demande s’il a vu la truie qui s’est échappée. « Oui » dit-il «  je l’ai mise dans une crèche. Mais elle était toute noire : elle s’est roulée dans le purin ». D’une voix courroucée je dis : « Mais alors, le diable noir : c’était le cochon !... ».