ALEXANDER JONES
Ecosse 

Proposé par Lord Blackwood / Lanarkshire
traduit par le conteur Armanel

_ « Jeanne, assieds-toi un peu à l'est », demanda le secrétaire municipal, entre les bouffées de sa pipe, alors qu'il était assis au coin du banc devant son feu, un soir frisquet.  « Tu prends une place importante du banc, et bien plus que tu n’en as besoin ».
Mais Jeanne, sa femme, était en train de tricoter un pull-over. Elle était arrivée aux emmanchures et n'était pas de très bonne humeur car elle devait bien calculer ses mailles. Elle a donc refusé de bouger d'un pouce et de donner suite à la demande de son mari.

_ "Jeanne," dit à nouveau son mari, "assieds-toi un peu plus à l’Est; il n'est pas décent de te conduire en égoïste. Assieds-toi un peu plus à l’Est, tu as entendu? "
Et le secrétaire municipal poussa brutalement sa femme jusqu'au bout du banc.

_ "Qu'est-ce que tu veux dire par là? Et que veux tu dire par A l’est?" cria sa femme.  "Tu commences à m’énerver avec ton EST à la fin, et--"
_ "On ne doit pas se moquer de l’Est?" cria le secrétaire municipal. "Le soleil lui-même se lève à l’Est et respecte l’Est". 

Et ensuite, d'une voix forte, il déclama que, comme le soleil faisait tous les jours le tour de la terre, ce dernier se levait toujours à chaque instant quelque part dans l'Est, et que tout ce qu'il espérait, lui _ secrétaire municipal _ était que personne ne fut assez fou pour renier l’Est. Partout dans le monde l'Est était le lieu le plus important; et s'il y avait bien quelque chose de ridicule, c'était de parler de l'Ouest. Car si l'Est était manifestement partout à tout moment, il n'y avait nulle part où l'Ouest pouvait être. Alors, il espérait que sa femme ne se comporterait pas comme une oie, arrêterait de le contrarier et ne dirait pas n'importe quoi.

Alors sa femme s'est levée et a dit qu'elle ne  voyait pas du tout les choses de la même façon. Car contrairement à ce que disait son mari, le soleil se couchait tous les jours quelque part à l’Ouest, et la seule chose qu’elle espérait, elle,  était que personne n’était assez sot pour la contredire; et comme le soleil se couchait tous les jours quelque part et qu'il le faisait à tout moment, et qu’à chaque fois c’était à l'Ouest, et que si partout était à l'Ouest, il n'y avait aucune place pour l'Est nulle part. Et elle faisait confiance à son mari pour qu'il ne se fasse pas l'âne et ne mentionne plus l'Est.

Mais le secrétaire municipal secoua la tête, exactement comme un chien qui a été mordu derrière l'oreille, et allait lui répondre, quand elle a soulevé sa jupe prit ses jupons dans ses mains pour imiter le plumage d’une oie et courut autour de la pièce, sautant sur les bancs en montrant une direction, en couinant : "Ouest, Ouest, Ouest! " 

Cela a mis le secrétaire municipal très en colère, et il a eu une idée lui-aussi, et  il releva les jambes de son pantalon, et courut autour de la table dans la direction opposée, en criant, "Est, Est, Est!" pour bien montrer comment il pensait que le monde était fait.
Cela finit par leur monter à la tête et ils furent pris de vertiges, ce qui fait très mal et ne favorise pas le moral ou la résolution d’un problème, vous pouvez en être sûr.

Et Alexander Jones restait silencieux dans son coin et ne disait rien.

Cependant, les deux époux étaient d’accord sur un point, à savoir que la question revêtait une importance trop profonde pour rester sans réponse. Alors, ils sont allés, ensemble,  chez l'épicier qui avait une grande maison en haut de la rue, et lui ont tout raconté, avec les tenants et les aboutissants de la question; et l'épicier et l'épouse de l'épicier, ainsi que la tante de l'épicier par alliance du côté de sa mère, et la plus jeune sœur mariée de l'épicier et la petite fille de la plus jeune sœur mariée de l'épicier, étaient tout naturellement très intéressés, par l’affaire. Mais l’un d’entre eux a pris une position, et l’autre en a pris une autre, et ils ont tous couru autour de la table, d’un bord et de l’autre, pour expliquer comment, à leur avis, le monde était fait. Cela a seulement abouti au fait qu'ils deviennent tout étourdis de vertige et se cognent la tête les uns contre les autres, chose qui fait mal et ne favorise pas le moral ou la résolution du problème, vous pouvez en être sûr.

Pendant ce temps, Alexander Jones resta assis dans son coin tout le temps sans rien dire.

Alors, ils ont tous convenu d'une chose, c'est que la question était d'une importance trop profonde pour la laisser sans réponse. Ce qui fait que tout le monde est allé chez l'aubergiste, qui avait une maison beaucoup plus grande que l'épicier, tout en haut de la rue, et ils lui tout dit sur la chose qui les amenait, avec les tenants et les aboutissants de la question; et l'aubergiste et sa femme, et la jeune fille de l'aubergiste mariée par alliance du côté de la mère de la belle-fille de l’épicier, de même que la plus jeune soeur de l'épouse de l'aubergiste mariée par alliance à la femme du secrétaire de mairie, et aussi la petite fille de la soeur mariée de l'aubergiste, étaient tout naturellement très intéressés, par l’affaire, pour dire le moins. Mais l’un d’entre eux a pris position, et l’autre en a pris une autre, et ils ont tous couru autour de la table, pour expliquer comment, à leur avis, le monde était fait. Et cela ne finit que par le fait qu'ils étaient tous très étourdis et se cognaient la tête, chose qui faisait mal et ne favorise pas le moral ou la résolution d’un problème, vous pouvez en être sûr.

Pendant tout ce temps Alexander Jones resta assis tout le temps dans son coin, sans rien dire.

Au bout d’un moment, ils tombèrent tous d'accord sur un point: la question était d'une importance trop profonde pour pouvoir en rester là. Ainsi, tout le monde se dirigea chez le magistrat en chef, qui avait la plus grande maison du bourg, au milieu de la rue près du marché, et ils lui racontèrent tout ce qui se passait, ainsi que les tenants et aboutissants de la chose; et le magistrat et son épouse, ainsi que la tante du magistrat, mariée de son côté maternel à la plus jeune soeur mariée de l'épouse de l’aubergiste ainsi que la petite fille de cette dernière, épouse du fils aîné du magistrat, étaient tous naturellement intéressés par le sujet, comme vous vous en doutez. Mais l’un a pris un point de vue, et un autre en a pris un autre, et ils ont couru autour de la table du magistrat, certains de leurs convictions, pour expliquer comment à leur avis le monde a été fait; et cela a seulement fini par les rendre tous très étourdis et se cogner la tête, une chose qui faisait mal et ne favorise pas le moral ou la résolution du problème, vous pouvez en être sûr.

Tandis qu’Alexander Jones restait silencieux dans son coin et ne disait rien.

Alors, ils ont convenu d'une chose ; la question était d'une importance trop profonde pour en rester là. Le magistrat a donc convoqué en réunion toute la population à la mairie.

Et lorsque la foule arriva à la mairie, le magistrat en chef leur raconta tout ce qui se passait ainsi que les tenants et les aboutissants de l'affaire; et les hommes du village et leurs femmes, ainsi que toutes les vieilles filles du village, et les veuves et les veufs du village, sans oublier les vieux garçons qui n’avaient pas trouvé chaussure à leurs pieds, étaient naturellement très intéressés, pour vous dire la vérité. Mais l'un a pris un point de vue et un autre en a pris un autre.

Et ils voulaient tous, alors, tourner autour de la table pour expliquer comment chacun pensait que le monde était fait; mais ici une difficulté a surgi, car, hélas! Il n'y avait pas de table dans l'hôtel de ville pour pouvoir en faire le tour, et que pouvaient-ils alors faire ? Car, ils ne pouvaient pas rester sans réagir devant une affaire comme celle-là, n’est-ce pas ? Ils ont donc demandé au premier magistrat de se tenir au milieu de la pièce en lui expliquant qu’ils allaient tous courir autour de lui dans la direction qui leur plaisait.

Mais le magistrat en chef objecta vivement, car il disait que cela le vexerait de voir des gens aller dans un sens et les autres aller dans l’autre sens ; en effet, il était certain que cela le rendrait malade. Il a donc suggéré de placer Alexander Jones au centre. 
Et oui, pourquoi ne pourraient-ils pas tourner autour de lui, car tout ce problème provenait de lui ? Mieux valait l'utiliser, il était si stupide et ne disait rien assis dans son coin; de plus, le premier magistrat voulait courir lui-même avec les meilleurs de ses concitoyens, et pourquoi devrait-il être écarté de la décision plus que quiconque?

_ "Non, non", ont-ils tous crié. "Alexander Jones est trop petit, et il serait difficile de courir sans lui marcher dessus." Cela ne fonctionnera pas du tout et le premier magistrat dut vraiment faire ce qui lui a été demandé. N’avait-il pas, l’autre jour, reçu un écusson en or à porter sur sa poitrine en signe de sa position et il devait l’assumer, sinon ils allaient le révoquer.

Le pauvre homme a donc dû céder, mais il a insisté pour que ses yeux soient bandés et il a, aussi, demandé à pouvoir s'asseoir sur une bonne chaise, sinon il savait qu'il serait malade; de cela il était certain.

Donc, ils lui ont bandé les yeux avec un chiffon qu’ils ont trouvé on ne sait où; car un mouchoir ne lui entourerait pas le visage, il avait un si gros nez; et, l'ayant assis sur une chaise, ils coururent tous en cercle, les uns et les autres, les autres et les uns; mais ils étaient tous très énervés et se frappaient la tête, ce qui faisait mal et ne conduisait ni à la bonne humeur ni à la résolution du problème; Et pire que tout, juste à la fin, quand ils ne pouvaient plus courir et étaient à bout de souffle, Eliza M'Diarmed, la grosse veuve qui tenait la boutique de confiserie tomba de tout son long contre le magistrat en chef et l'envoya voler sur le sol avec sa chaise.

Pendant ce temps, Alexander Jones resta silencieux dans son coin et ne disait rien.

Alors le magistrat en chef arracha le chiffon de ses yeux avec une rage immense et dit que la chose devait être réglée sur-le-champ. Non, il ne  supporterait plus ce tapage. Il a également menacé, s’ils n’y arrivaient pas, de créer une taxe sur les boutons; ce qui était plutôt intelligent de sa part, car vous voyez, les deux sexes ressentiraient cet impôt de la même manière, et lui, dans la mesure où ses robes étaient fermées par une boucle à son cou et une ceinture ornée de pierres précieuses autour de son estomac - eh bien  -bien joué-  cela ne l'affecterait pas du tout.

À cet instant, le secrétaire municipal se leva et dit qu'ils devaient, dans ce cas, trouver un autre moyen pour trouver la réponse de cette terrible énigme. Il proposa d'appeler dans la rue Peter, le cantonnier, car il était debout, appuyé à sa pioche, à peu près à toute heure du jour, et en savait sûrement beaucoup sur les mouvements du soleil; seulement, s'ils lui demandent son avis, ils devaient aussi faire venir Jessica, sa sœur borgne  – c’est elle qui faisait la lessive du magistrat en chef, et était donc une personne importante dans le bourg -  car Peter refuserait certainement d'entrer à la mairie à moins qu'elle ne vienne avec lui.

En fait, c’était vraiment un gros problème. Parce que, voyez-vous, il ne restait plus un centimètre carré d'espace libre dans la mairie pour une autre personne et, donc, deux personnes devraient sortir pour laisser entrer le cantonnier et sa sœur Jessica.

Ils m'ont donc choisi comme premier sortant  - étant un étranger du pays -  mais ils me l’ont demandé bien poliment; 
et ils ont choisi Alexander Jones comme deuxième sortant, parce qu'il était si stupide et qu'il ne disait rien.

Ainsi, vous voyez, je n’ai jamais su quelle décision avait été prise à cette réunion, même si je suis certain qu’une décision a été prise, car le lendemain matin, les vêtements des gens étaient toujours portés comme d'habitude et les boutons étaient au même prix qu'auparavant dans les boutiques.

Et, bien que je fut déçu de ne pas connaître la fin de l’histoire, je le suis encore plus pour vous, mes amis, qui, je dois dire, avez écouté cette longue histoire avec beaucoup de patience.

Mais pourquoi Alexander Jones était-il si stupide au point de ne rien dire?

En fait, je n’en sais rien. Car j’ai un peu menti sur la fin: Cette aventure ne m’est pas vraiment arrivée.
Elle m’a été racontée, un soir que j’étais un peu déprimé et que j’avais bu trois bouteilles de whisky pour me remonter le moral, par Alexander Jones  - lui-même -  mon vieux matou aveugle qui chauffe ses vieux os près de la cheminée.

 

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